Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
à développer ses applications dans le domaine de la sélection et du recrutement dans
l’industrie, pour lesquels il n’existe d’ailleurs qu’un marché très étroit (voir supra). C’est
plutôt à un autre niveau, celui de la « question sociale » qu’ils vont situer le mandat de leur
nouvelle science : en établissant les lois scientifiques de la fatigue, ils déplacent les
revendications ouvrières sur un terrain neutre et objectif, situé au dessus de la mêlée sociale.
Armand Imbert (1850-1922) et Edouard Toulouse (1865-1947), tous deux médecins
de formation, incarnent particulièrement bien ce positionnement hygéniste de la
psychophysiologie du travail à ses débuts, et son aspiration à jouer un rôle d’arbitre dans les
conflits entre capital et travail. Imbert, professeur à la faculté de médecine de Montpellier,
réformiste républicain et ardent défenseur du mouvement ouvrier a très tôt exposé ses
positions en la matière. Dès 1903, parallèlement aux travaux menés par l’équipe d’Edouard
Toulouse au laboratoire de Villejuif, il poursuit des recherches sur les causes des accidents du
travail dans le département de l’Hérault, en collaboration avec un inspecteur du travail,
Guilhem Mestre 36 . Les auteurs s’aperçoivent que la fréquence des accidents du travail n’est
pas due au hasard ou à la maladresse des ouvriers mais s’accroît en fonction directe de la
fatigue ouvrière, c’est-à-dire en fin de matinée et en fin de journée. Les auteurs préconisent
donc des pauses plus régulières permettant à l’organisme de rétablir son équilibre interne. Si
les accidents du travail ne trouvent pas leur origine dans la mauvaise qualité des ouvriers,
mais dans le non respect des lois de fonctionnement du corps humain au travail et de ses
conditions d’équilibre, un champ d’intervention s’ouvre pour le psychophysiologiste : celui-ci
doit déterminer scientifiquement les lois du rendement et de la fatigue dans les différentes
professions, œuvrant ainsi pour le bien public et la paix sociale :
« Il est de l’intérêt général d’affirmer que, pour tous les problèmes sociaux dans
lesquels interviennent, à un degré quelconque, la vie et les actes de l’organisme
humain, la solution rationnelle ne peut être établie sans la considération des lois
physiologiques du fonctionnement de cet organisme, et par suite sans qu’il soit fait
appel aux connaissances de ceux qui font de la recherche et de l’étude de ces lois
l’objet spécial de leurs travaux » (Imbert, 1907, p. 258)
L’intervention des psycho-physiologistes du travail dans le débat politique et social
est également rendue possible par une autre question brûlante des premières années du XX e
siècle : la « journée de huit heures ». Comme ils l’ont fait à propos des accidents du travail, ils
entendent déplacer cette question du terrain politique de la « lutte des classes » vers le terrain
neutre et objectif de la science. Les sciences du travail permettront en effet d’établir sur des
bases solides les conditions scientifiques de la fatigue dans les différentes professions. Une
36 IMBERT et MESTRE, 1905
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