Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
propos n’est pas élargi aux autres formes de coalition sur le marché du travail (syndicats de
travailleurs par exemple).
Larson ajoute à cette analyse néo-wébérienne une étape supplémentaire, qui permet
de relier l’idéologie professionnelle aux formes de reproduction sociale. Cette étape est celle
de la mise en place d’une structure nationale d’éducation autorisant la standardisation du
produit professionnel lui-même. En effet, sans structure nationale de formation, il n’y a pas
d’homogénéisation, pas de mise en équivalence possible des « produits professionnels »
délivrés par l’université en termes de nombre d’années d’études. Historiquement, c’est
l’université 31 qui a joué ce rôle de standardisation des produits professionnels. Or, dans le
raisonnement de Larson – qui s’inspire ici directement d’Althusser – « la légitimation centrale
des nouvelles formes d’inégalité, qui réside dans leurs fondement idéologiques, prend sa
source dans le système éducatif » (op. cit., p. 239). L’une des conséquences de la diffusion du
modèle professionnel est donc d’obscurcir les bases réelles de la domination capitaliste en
associant étroitement des rétributions individuelles à des performances dans le système
éducatif (elles-mêmes fortement inégalitaires) :
« L'appareil idéologique de l'école standardise les structures générales de l'idéologie
dominante, dans des termes qui renforcent l'inégale distribution de la connaissance.
Le respect pour la science, pour la connaissance, pour la "construction de la réalité"
opérée par les professionnels s'accroît dans l'immense masse des gens qui ne verront
jamais une université. Ce respect est incarné dans une hiérarchie sociale : ce n'est
pas seulement du respect pour un homme qui possède une connaissance supérieure,
c'est le respect pour ceux qui "savent mieux" parce que leur position de pouvoir
relatif prouve qu'ils savent mieux [c'est l'auteur qui souligne] ». (op. cit., p. 242)
On voit donc, à travers la démarche de Larson, que comme dans les perspectives
précédentes – wébériennes et marxistes – l’auteur s’en tient à une analyse purement extérieure
des savoirs mobilisés par les professions. Les fondements épistémologiques de ces savoirs ne
sont pas analysés en eux-mêmes, mais en fonction de leur capacité à convaincre certains
auditoires, dans un objectif de clôture sociale. Une stratégie de professionnalisation réussie
apparaît dès lors comme le pur produit d’une entreprise de conviction, d’une rhétorique qui ne
s’enracine pas dans des pratiques concrètes. A l’extrême, on peut imaginer que le travail de
codification et de construction sociale des savoirs importe plus que leurs fondements
épistémologiques. Un tel point de vue est développé par exemple chez Gieryn (1983), qui
développe l’idée qu’un « travail de démarcation » (boundary work) accompagnerait toute
activité professionnelle ou scientifique. Cette démarcation entre « science » et « non-science »
divergents.
31 Dans la forme qu’elle a prise notamment aux Etats-Unis dans le dernier quart du XIX e siècle (GEIGER, 1986).
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