Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
possession de connaissances de base » 78 . C’est donc avant tout la formation universitaire qui
est mise en avant, principe que l’on retrouvera dans la loi de 1985 79 .
Une telle stratégie se fonde sur l’idée que le titre a par sa seule vertu une valeur sur le
marché du travail, ce qui n’est nullement évident. Il est clair en effet que la protection d’un
titre en dehors de toute référence à des activités ou à une expertise spécifiques, comme dans le
cas des psychologues ou des ingénieurs, ne peut fonctionner qu’en termes relatifs : pour que
le titre ait une valeur quelconque il faut qu’existe en amont un marché sur lequel se détermine
la valeur relative de ces titres (généralement le marché scolaire). Il est probable qu’une telle
stratégie de protection du titre n’ait pu fonctionner dans le cas des ingénieurs que parce qu’il
existait un marché des titres d’ingénieurs suffisamment différencié, fondé sur l’opposition
entre ingénieurs de grandes écoles / ingénieurs de petites écoles / ingénieurs formés à
l’université / ingénieurs « maison ». Il faut rappeler à cet égard qu’en France seul le titre d’
« ingénieur diplômé » (de telle ou telle école) est protégé depuis une loi de 1934, et non le
titre d’ingénieur tout court, auquel peuvent toujours prétendre d’anciens techniciens promus
dans leur entreprise. La forte sélectivité de l’accès à la profession par le système des classes
préparatoires et la voie du concours – pour une part non négligeable de ces membres –
explique aussi l’attrait exercé par le titre d’ingénieur en France 80 . Cet exemple éclaire bien le
cas opposé du titre de « psychologue » qui, faute d’un ancrage dans des actes techniques bien
identifiés et faute de logiques de distinction suffisantes sur le marché scolaire, n’est doté que
d’une faible valeur marchande.
Nous voudrions insister ici sur le caractère essentiellement fictif du groupe
professionnel réuni sous la bannière du titre de « psychologue ». La valeur de ce titre,
inégalement revendiqué par les praticiens, fluctue d’un secteur d’activité à l’autre : s’il peut
constituer un référent unificateur dans le domaine de la santé ou de l’enfance inadaptée, il
d’un statut unique dans l’ensemble des secteurs d’activité.
78 AN-CAC, 19790569 art. 3 : « Ministère de l’Education Nationale, Direction des enseignements supérieurs –
Réforme des études de psychologie 1969-1974 », Réunion interministérielle sur la psychologie, 19 mars 1969
79 La loi de 1985 ne fait en effet aucune mention du contenu de l’activité des psychologues. Elle se contente de
stipuler que « l’usage professionnel du titre de psychologue, accompagné ou non d’un qualificatif, est réservé
aux titulaires, d’un diplôme, certificat ou titre sanctionnant une formation universitaire fondamentale et
appliquée de haut niveau en psychologie ». Il est pourtant frappant de constater qu’aujourd’hui encore un grand
nombre de psychologues ignorent cet état de fait et pensent que l’usage des tests est réservé aux seuls
psychologues, ce qui est faux. Ainsi sur les 123 dossiers de litiges examinés par la CNCDP – Commission
Nationale du Code de déontologie des psychologues – entre 1997 et 2001, une dizaine concerne des plaintes
faites par des psychologues à l’encontre de non-psychologues ayant utilisé des tests (voir sur ce point CNCDP,
2003).
80 « Du passage dans ces classes préparatoires résultent une parenté d’esprit et une solidarité certaine entre les
membres de la communauté des ingénieurs. Ceux-ci en retirent le sentiment d’appartenir à un même "corps
social" » (cité par BENGUIGUI et MONJARDET, 1968)
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