Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
Après s’être maintenu pendant plus d’un siècle et demi, ce mode de fonctionnement
de la médecine hospitalière a été brutalement remis en cause par la réforme Debré de 1958,
qui modifia en profondeur le schéma des études médicales ainsi que le statut des médecins
hospitaliers et des professeurs des facultés de médecine. Cette réforme était en réalité
l’aboutissement de deux évolutions, poursuivies en parallèle depuis la période de l’entre-deux
guerres : l’une, sur le « front socio-économique », se caractérisait par une socialisation
croissante de la médecine (à travers les systèmes d’assurance sociales tout d’abord, puis la
mise en place d’une Sécurité sociale en 1945). Cette socialisation introduisit progressivement
un tiers – la société – dans le colloque singulier entre le médecin et son patient, brisant
progressivement l’idéologie libérale qui sous-tendait la relation clinique. L’autre évolution
prenait place sur le « front scientifique » : le modèle de production et de diffusion des savoirs
qui s’était construit autour de la médecine clinique se trouvait remis en cause depuis la fin du
XIX e siècle (et plus particulièrement depuis la révolution pasteurienne), par les progrès
d’autres disciplines, notamment en bactériologie, biologie et physiologie 67 .
L’intérêt de l’article ne réside pas tant dans cette histoire, désormais bien connue
(Léonard, 1981), que dans la théorie des professions développée par les auteurs.
Contrairement aux fonctionnalistes, qui voient dans la professionnalisation la constitution
progressive d’un « tout » cohérent, les auteurs insistent – comme Strauss, Bourdieu et Elias –
sur les principes de segmentation et de division interne des professions : la
professionnalisation est le résultat toujours incertain d’une dialectique d’inclusion/exclusion.
Mais contrairement aux interactionnistes ou aux sociologues du monopole et de la
domination, Jamous et Peloille placent les changements de paradigme au cœur de ces
mouvements : un nouveau paradigme ne parviendra à s’imposer que si l’état des rapports
sociaux le permet ; mais ce paradigme ne saurait être en lui-même le simple reflet des
rapports sociaux (perspective marxiste ou bourdieusienne), ou une « machine de guerre » en
vue de la conquête d’un monopole économique (néo-wéberiens) :
« L’évolution et les changements d’une profession ne se font généralement pas de
façon continue et selon un processus auto-régulé, mais par la constitution successive
de systèmes qui cherchent à se fermer, s’auto-entretenir et se perpétuer, y
parviennent pendant un certain temps, puis sont remis en cause par des éléments
qu’ils ont parfois eux-mêmes contribué à fabriquer. Ces éléments, porteurs d’une
définition nouvelle, prônant l’ouverture et s’appuyant sur des forces externes à la
profession, tenteront, une fois victorieux, de perpétuer et de se réserver, à leur tour
67 Il n’est d’ailleurs pas anodin que Pasteur ait été totalement étranger au monde de la médecine clinique, ce qui
lui a d’ailleurs été vivement reproché par l’Académie et la faculté de médecine. Sur la controverse entre Pasteur
et les médecins voir LEONARD (1981, pp. 242-250).
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