Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

Il en va de même à l’AFPA, où l’utilisation de tests standardisés est supposée garantir l’équité
du jugement sur l’ensemble du territoire. Ce point de vue suscite une vive méfiance à l’égard
des tests de personnalité, jugés moins objectifs que les tests de raisonnement ou d’aptitude :
tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
Q : Chaque psychologue est-il libre d’utiliser les tests qu’il souhaite ?
R : Ah non… Ah non non non… Dans la mesure où le recrutement aux formations
AFPA est un recrutement national, les épreuves sont standardisées, avec une marge
de jugement et d’appréciation de la part du psychologue.
Q : Par exemple, un psychologue peut-il utiliser un test projectif type Rorschach ?
R : Ah non, certainement pas. Il y a un cadrage méthodologique qui assure l’équité
du recrutement du demandeur d’emploi quel que soit l’endroit où il se présente.
Qu’il soit à Dunkerque, à Berck ou à Aix, il va se retrouver avec le même système
d’évaluation.
Q : Il y a eu une influence des méthodes utilisées dans les cabinets privés ou les
entreprises ?
R : Non… Je crois que l’AFPA a toujours voulu avoir un maximum d’objectivité
dans son approche, donc le fait qu’il y ait une grande marge d’interprétation dans les
épreuves de personnalité a conduit à en limiter l’usage, notamment pour des
formations qui se sont développées plus tardivement à l’AFPA et qui requièrent
peut-être des traits de personnalité un peu plus spécifiques comme les vendeurs.
Mais nos formations techniques je dirais plus classiques, de niveau V, l’entretien à
lui seul permettait de déceler des personnalités un peu déviantes qui pouvaient poser
problème dans l’adaptation au groupe en formation ou dans l’adaptation au métier
lui-même. » (Entretien n°15, femme, psychologue du travail à l’AFPA).
Compte tenu de ces diverses caractéristiques, ces lieux d’exercice jouissent d’un
prestige particulier au sein de la profession. C’est là que se pratique la psychologie du travail
la plus "pure", la plus dégagée des pressions exercées par les puissances économiques et
commerciales et c’est là également que l’héritage de la tradition psychotechnique se ressent le
plus. Il apparaît toutefois qu’en dépit de ce prestige intraprofessionnel, ces positions sont
rarement associés à un statut social élevé, comme on le voit sur le graphique 14. La
reconnaissance par l’employeur du titre de psychologue et l’appartenance à un environnement
de travail marqué par la présence de nombreux collègues psychologues (« collègues en
majorité psy ») sont généralement associés à des niveaux de salaires peu élevés (moins de
1800 euros par mois). Le fait d’être enfermé dans un rôle assez étroit d’évaluateur interdit en
effet de se tourner vers des fonctions plus lucratives et les perspectives de promotion en cours
de carrière sont rares. Ces personnes, qui sont employées sous le statut propre de psychologue
et sont pleinement reconnues dans leur identité professionnelle, appartiennent à une
« bureaucratie professionnelle » 103 qui procure un certain épanouissement au point de vue du
métier mais qui offre peu de perspective de mobilité ascendante. Il y a dans le discours de ces
psychologues un certain "ascétisme aristocratique" qui n’est pas sans rappeler celui du monde
enseignant, comme si l’identité professionnelle ne pouvait être conquise qu’au détriment
103 MINTZBERG (1982)
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