Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
qualifications) sur le lien formation/emploi, seul un nombre limité de recherches prend en
compte le rôle de la formation dans les logiques d’identification professionnelle. L’étude
d’Odile Piriou (1999) sur les sociologues est de ce point de vue exemplaire, puisqu’elle
s’intéresse à un groupe dont les frontières ne sont pas tracées a priori (par le statut
notamment) et dont les logiques d’identification peuvent varier d’un secteur à l’autre.
Peut-être faut-il voir dans ce trait dominant de la sociologie des professions
française, le reflet du rôle important joué par les pouvoirs publics dans la construction des
groupes professionnels. Pour reprendre la distinction de McClelland (1990), le statut est
généralement conféré aux professions « d’en haut » (from above) et n’est pas le résultat des
efforts internes d’un groupe de pression, qui chercherait à valoriser sur un « marché » des
compétences et une expertise particulières (from within). Comme nous l’avons souligné plus
haut, ce modèle de la certification, que les anglo-saxons qualifient de « credentialism »,
présente des affinités avec une logique de marché. A l’inverse, le modèle de la « charge », où
le prestige et le monopole sont conférés par l’Etat, sont beaucoup plus prégnants en France et
plus généralement dans les pays continentaux (Burrage, 1990 ; McClelland, 1990 ; Svensson
et Evetts, 2003, pp. 5-9).
1. Apports et limites des approches en termes de segmentation
De quelles ressources théoriques disposons nous pour étudier le rôle joué par la
formation et les affiliations disciplinaires dans les logiques d’identification professionnelle ?
Deux auteurs nous semblent apporter des outils théoriques particulièrement pertinents pour
aborder cette question : Anselm Strauss (1992 [1961]), qui propose le concept de « segment
professionnel » et Eliot Freidson (2001, pp. 201-204) celui de « communauté disciplinaire ».
a) Strauss et l’approche en termes de « segment professionnel »
La sociologie interactionniste de Strauss a déjà été brièvement présentée dans la
section précédente. Nous avons montré que sa démarche, essentiellement ethnographique, le
conduisait à mettre sur un même plan les savoirs mobilisés par les différents intervenants
(médecins, infirmières, aides-soignantes…) au sein de l’hôpital psychiatrique. L’une des
limites d’une telle représentation des groupes professionnels est qu’elle ne tient pas compte le
fait que les savoirs formels sont aussi des formes institutionnalisées, qui ont par conséquent
une existence relativement indépendante de leur mise en œuvre dans des situations
d’interaction. Le lien n’est donc pas établi entre une « sociologie de la connaissance », qui
s’intéresserait aux corpus théoriques, et une sociologie des professions, qui s’intéresserait aux
68