Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

Durkheim sa défense des groupes professionnels, seuls susceptibles de constituer ce milieu
moral intermédiaire entre les individus et l’Etat.
Durkheim reste toutefois évasif sur une question importante : celle des fondements
sociaux des groupes professionnels. Sur quelles bases les individus se regroupent-ils ? Qu’estce
qui fonde leur solidarité et leur cohésion ? La réponse apportée par Durkheim semble
privilégier avant tout des facteurs d’ordre morphologique : la source de cette cohésion réside
dans la participation des individus à une même « industrie », à une même sphère d’activité
économique :
« Puisque [le groupe professionnel ou la corporation] est composée d'individus qui
se livrent aux mêmes travaux et dont les intérêts sont solidaires ou même confondus,
il n'est pas de terrain plus propice à la formation d'idées et de sentiments sociaux »
(Durkheim, 1897, p. 435)
Plus loin il écrit :
tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
« [le groupe professionnel] n'agit pas sur les individus d'une manière intermittente
comme la société politique, mais il est toujours en contact avec eux par cela seul que
la fonction dont il est l'organe et à laquelle ils collaborent est toujours en exercice. Il
suit les travailleurs partout où ils se transportent ; ce que ne peut faire la famille. En
quelque point qu'ils soient, ils le retrouvent qui les entoure, les rappelle à leurs
devoirs, les soutient à l'occasion. Enfin, comme la vie professionnelle, c'est presque
toute la vie, l'action corporative se fait sentir sur tout le détail de nos occupations qui
sont ainsi orientées dans un sens collectif » (op. cit., 1897, p. 435)
Cette définition de la profession en termes d’activité économique est bien conforme
aux premières thèses défendues dans la Division du travail social et le Suicide, où Durkheim
défend un certain matérialisme morphologique, flambeau repris ultérieurement par Mauss :
c’est la densité des contacts entre les individus qui donne aux milieux sociaux leur
consistance et cohésion, et les transforme peu à peu en milieux « moraux ». De même, dans le
cas des groupes professionnels, c’est la densité des interactions entre les membres d’une
même industrie qui en fait des milieux moraux susceptibles d’apporter aux individus leurs
règles de conduite. Il est intéressant de noter que cette conception morphologique des groupes
professionnels traverse également l’analyse durkheimienne du suicide : c’est parce que les
professions de l’industrie et du commerce ont une faible densité sociale – et constituent donc
des milieux anomiques – qu’elles connaissent des taux de suicide nettement plus élevés que
les professions libérale ou militaire caractérisées au contraire par une vie collective plus
intense (op. cit., 1897, p. 287).
Si l’importance des facteurs morphologiques est fréquemment soulignée dans les
premières œuvres de Durkheim, il n’en va pas de même de la dimension des savoirs ou
savoir-faire qui sont à l’œuvre dans les différentes professions. Ceux-ci ne semblent pas jouer,
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