Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
demande sociale et des évolutions scientifiques. On le voit notamment à travers l’abandon de
la méthode des tests comme support du projet professionnel des psychologues à partir de la
fin des années 1960, et l’hégémonie progressivement acquise par la méthode de l’examen
clinique. Un tel constat devrait nous inviter à prendre au sérieux la remarque suivante de
Canguilhem : « L’histoire des sciences, ce n’est pas le progrès des sciences renversé, c’est-àdire
la mise en perspective d’étapes dépassées dont la vérité d’aujourd’hui serait le point de
fuite. Elle est un effort pour rechercher et faire comprendre dans quelle mesure des notions ou
des attitudes ou des méthodes dépassées ont été, à leur époque, un dépassement et par
conséquent en quoi le passé dépassé reste le passé d’une activité à laquelle il faut conserver le
nom de scientifique » 15 . Cette règle méthodologique, qui va d’une certaine façon à rebours du
schéma téléologique sous-jacent à la notion de « monopolisation », est d’autant plus
importante à suivre dans l’étude de la psychologie que, comme nous le verrons, le projet
scientifique et social qui a animé les premières recherches et applications de cette discipline
peut parfois prêter à sourire tant il apparaît à l’observateur contemporain exotique et désuet.
C’est donc seulement en réinscrivant les savoirs et les formes de professionnalisation
dans la densité d’une époque et d’un contexte social que nous pourrons comprendre la logique
interne de cette profession. Cela suppose de faire coexister trois perspectives : d’une part une
sociologie des sciences, attentive à la constitution des savoirs et à leurs transformations ;
d’autre part la sociologie d’un groupe professionnel, de ses tentatives de conquête de statut et
de clôture ; enfin l’évolution d’un mandat défini à la fois par la demande sociale émanant
d’un « marché » de services psychologiques et par des formes particulières d’action publique.
La difficulté est de faire tenir ensemble ces différents éléments car les relations ne sont pas à
sens unique : la science seule n’entraîne pas de nouvelles manières de conceptualiser les
problèmes sociaux, car elle est elle-même totalement immergée dans la société. Comme l’a
bien montré Latour (1987), un certain nombre de facteurs sociaux doivent être réunis pour
qu’un énoncé acquière une validité scientifique : des forces doivent se rassembler, des alliés –
humains et non humains – doivent être cooptés. De même, nous nous efforçons de montrer
que des conditions sociales particulières ont dû être réunies pour que des conceptualisations
de l’homme comme « sujet psychologique » voient le jour, précisément parce qu’elles
apparaissaient comme une réponse pertinente aux problèmes du moment. Le mandat, les
savoirs et la clôture sont donc en interaction permanente et ne sauraient être traités de façon
isolée.
15 Ibid., p. 14
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