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Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

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tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

présente dans leurs recherches. Cette orientation dénote une moindre attention à la phase<br />

initiale d’analyse du travail, l’essentiel étant de mettre au point un test standardisé et<br />

applicable au plus grand nombre de situations de travail possibles, et non un test chaque fois<br />

spécifique, comme le suggère Lahy. Ainsi, lorsque Münsterberg commence à s’intéresser aux<br />

applications de la psychologie dans l’industrie vers 1909, il contacte environ un millier<br />

d’entreprises pour les interroger sur les aptitu<strong>des</strong> qu’elles attendent de leurs employés dans les<br />

différents métiers. Il construit ensuite ses tests sur la base de ces déclarations spontanées, mais<br />

ne se donne pas la peine de réaliser <strong>des</strong> observations de terrain plus approfondies 29 . En ce<br />

sens, la méthode de Lahy apparaît bien plus « artisanale » que celle proposée aux Etats-Unis<br />

par Münsterberg, Dill Scott ou Yerkes, ce qui limite singulièrement son champ d’application.<br />

Elle suppose un diagnostic précis de la situation de travail et la mise au point de tests chaque<br />

fois spécifiques. Cela renvoie également à une conception très différente de la fonction du<br />

psychologue : Lahy situe le psychologue du côté de la médecine, qui traite toujours <strong>des</strong> cas<br />

singuliers ; la psychologie industrielle américaine, à l’inverse, se construit davantage autour<br />

de la métaphore de l’ingénieur que de celle du médecin 30 .<br />

Ces deux positionnements ont <strong>des</strong> implications immédiates du point de vue de la<br />

professionnalisation de la psychologie du travail, qui se fait plus rapidement aux Etats-Unis<br />

qu’en France. Alors que les psychologues du travail américains sont en mesure de proposer à<br />

l’industrie (et à l’armée, dès la première guerre mondiale) <strong>des</strong> tests mentaux standardisés<br />

permettant de trier <strong>des</strong> populations sur une grande échelle, les psychophysiologistes français<br />

ne peuvent envisager de telles applications. Cette orientation ne tient pas seulement à l’état<br />

d’avancement de la science dans les deux pays. Si les français connaissaient également les<br />

métho<strong>des</strong> statistiques et les tests mentaux (mises au point par Binet dès 1905), ils se sont<br />

longtemps refusés à synthétiser un profil individuel au moyen d’un test unique d’aptitude<br />

générale tel que le test de QI. Dans leur perspective, les aptitu<strong>des</strong> mentales et physiologiques<br />

ont un caractère complexe et surtout interagissent les unes avec les autres. De ce fait, elles ne<br />

peuvent être mises au jour que par la combinaison de différents tests. Un travailleur peut<br />

présenter d’excellentes aptitu<strong>des</strong> d’un certain point de vue mais être beaucoup plus faible sous<br />

29 A la différence <strong>des</strong> tests de Lahy, qui étaient souvent à mi-chemin de la psychologie et de la physiologie (tests<br />

manipulatifs par exemple) ceux de Münsterberg mettaient exclusivement l’accent sur les « dispositions<br />

mentales » requises par différents métiers. Ainsi, il utilise <strong>des</strong> jeux de cartes pour mesurer les capacités de<br />

réaction <strong>des</strong> capitaines de navire.<br />

30 Sur la prégnance de la métaphore de l’ingénieur dans la psychologie américaine, voir BROWN (1992), qui<br />

développe tout au long de son ouvrage un projet assez semblable à celui poursuivi en France par PAICHELER<br />

(1992), à ceci près que là où Paicheler parle de « rhétorique », Brown parle de « métaphore ». Mais le projet est<br />

bien le même : montrer comment la science est tout entière imprégnée d’idéologie et ne vise qu’à servir les<br />

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