Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

de la deuxième guerre, en 1946, on compte 250 conseillers d’orientation professionnelle en
exercice, répartis dans 161 centres 88 . Le secteur plus éclaté des applications au travail et à la
« sélection professionnelle » demeure en revanche assez peu organisé tout au long de la
période, comme nous allons le voir.
C. DU LABORATOIRE A L’USINE : LA PSYCHOTECHNIQUE AU RISQUE DES
APPLICATIONS (1920-1939)
1. Une neutralité mise à mal
tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
Nous avons vu que les psychophysiologistes nourrissaient dans l’avant guerre
l’espoir d’un règlement scientifique de la question sociale, en fixant les lois objectives de la
fatigue dans les différentes professions. Les applications qu’ils envisageaient étaient toutefois
strictement limitées à une expertise réalisée pour le compte de l’administration. Il s’agissait
d’intervenir au coup par coup en cas de conflit social, et non de mettre en place un service de
psychotechnique dans chaque usine. En effet, pour que la science du travail conserve sa
neutralité il fallait qu’elle reste extérieure à l’entreprise, faute de quoi elle risquait de se
compromettre en servant exclusivement les intérêts du patronat. Dans l’esprit de ses
promoteurs, seul l’Etat pouvait être garant de cette neutralité. Ainsi Imbert envisageait la mise
en place de laboratoires publics du travail dans les différentes villes 89 , où les syndicats de
travailleurs et les patrons pourraient porter leurs revendications. De même les premières
recherches de Lahy sont faites à l’occasion d’un conflit social opposant les ouvriers
typographes à leurs employeurs, à la suite de l’introduction d’une nouvelle machine (le
linotype) qui entraînait selon la CGT une fatigue plus importante des ouvriers. Mais il ne
s’agit en aucun cas d’opérations de sélection professionnelle en entreprise.
La guerre marque un tournant important dans le rôle attendu de la science du travail.
La diffusion du taylorisme dans les entreprises et le discours productiviste qui s’empare du
monde industriel français dans les années 1920 oblige la psychologie et la physiologie du
travail à définir leur place vis-à-vis du taylorisme. Elles ne peuvent plus garder une position
extérieure de neutralité et doivent pénétrer au sein même des entreprises. Pour certains
88 Arch. Piéron, 520 AP 12, « Statistiques INOP ».
89 Dans un rapport qu’il remet à la Chambre de Commerce de Marseille en 1920, Imbert écrit : « L’importance
de la création [d’un laboratoire du travail] est si grande, sa portée est à ce point générale que l’on est tout d’abord
conduit à envisager et à souhaiter une réalisation par l’Etat lui-même » (Arch. CCI Marseille A34,12). C’est
précisément le désintérêt des pouvoirs publics pour cette question qui le poussera à se tourner vers la Chambre
de Commerce de Marseille.
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