Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

D. LA MOBILISATION DES SAVOIRS PSYCHOLOGIQUES ET L’IDENTITE DE
PSYCHOLOGUE DU TRAVAIL
tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
A quoi tient finalement l’unité de la psychologie du travail si l’on admet, comme on
l’a vu dans la section précédente, qu’elle se caractérise en premier lieu par le poids de ses
divisions internes ? En insistant trop fortement sur les clivages, les segmentations et l’inégal
destin des générations, on risque de perdre de vue les pratiques et la culture commune à
l’ensemble des membres de la profession par-delà leurs différences de statuts. Les
psychologues du travail se fondent-ils complètement dans leurs nouvelles identités de cadres
d’entreprise, de consultants et de "conseillers en insertion" ou conservent-ils une trace de leur
formation initiale, y compris plusieurs années après l’obtention du DESS ? Comment se
construisent-ils une identité professionnelle au confluent de leur formation académique (et du
titre auquel celle-ci donne accès) et des postes occupés ?
Nous proposons d’aborder cette question sous trois angles. Nous nous interrogeons
en premier lieu sur l’usage qui est fait des connaissances psychologiques acquises en
formation initiale dans les emplois occupés. Un tel examen révèle un apparent paradoxe. Les
stratégies de carrière traduisent en effet le souci des diplômés de ne pas s’enfermer dans la
fonction classique du "psychologue-testeur", à laquelle préparent les formations de DESS, et
de s’éloigner au plus vite du domaine de la psychométrie, qui forme pourtant le socle de
l’expertise et de l’image publique des psychologues du travail. Les carrières les plus
prestigieuses sont celles qui permettent aux individus de sortir de la juridiction traditionnelle
de la profession (recrutement et évaluation) pour se tourner vers des fonctions plus
managériales (conseil en stratégie ou en organisation, ressources humaines). Nous tenterons
d’expliquer ce phénomène de "dérive professionnelle", à partir d’une lecture de Abbott
(1981). Dans un second temps, nous nous interrogeons sur les différentes manières de
s’identifier à la psychologie à partir d’une analyse d’une analyse des intitulés d’emploi. Deux
interrogations guideront ici notre propos : dans quelles situations se déclare-t-on ou ne se
déclare-t-on pas "psychologue" ? Comme le souligne Kramarz (1991) l’énonciation de son
emploi constitue pour tout individu une "épreuve" au cours de laquelle il s’expose, découpe
dans la réalité un certain nombre d’éléments qui vont servir à construire une image de luimême
face à autrui. On trouve au principe de cette énonciation une difficulté qui consiste à
mobiliser un registre sémantique suffisamment précis pour souligner la spécificité de son
travail mais suffisamment large pour pouvoir être mis en équivalence avec des individus
appartenant à une même classe. Ce choix n’est jamais neutre et l’on peut s’interroger sur les
409