Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
l’est moins. Il semble y avoir là une frontière infranchissable que le psychotechnicien n’est
pas autorisé à franchir. Une controverse particulièrement vive oppose sur ce point un médecin
du travail, le Dr Theil, aux associations de psychotechniciens au début des années 1960, c’està-dire
au moment où les tests de personnalité commencent à se généraliser dans le
recrutement des cadres 86 . Theil tente de mobiliser l’opinion et les pouvoirs publics sur les
dangers du recours aux méthodes d’investigation de la personnalité dans le recrutement. Il se
livre pour cela à une véritable campagne de presse entre 1960 et 1962 87 , qui débouchera sur
des projets du Ministère du Travail visant à réglementer l’usage des tests. Dans une
communication à l’Académie de médecine 88 , Theil expose ses griefs contre la
psychotechnique. Il commence par distinguer les « trois étages » dont se compose le savoir
psychotechnique. Le premier est composés des tests psychophysiologiques, centrés
exclusivement sur les aptitudes sensorielles et motrices : il reconnaît que ces mesures
« objectives et scientifiques » ont connu des « succès indiscutables dans l’orientation
professionnelle » et qu’il n’y a donc pas lieu de les condamner, même si « elles doivent être
employées avec prudence et discernement ». Le second comprend les épreuves d’intelligence,
dont Theil juge les résultats plus contestables. Il estime que ces épreuves, initialement
conçues pour des enfants de moins de 16 ans dont l’intelligence ne s’est pas encore stabilisée,
ne devraient pas être appliquées à des adultes, surtout lorsque « la note conférée par l’examen
psychotechnique va influer la carrière du sujet durant toute sa vie ». Mais les critiques le plus
virulentes concernent le troisième étage : celui des méthodes projectives et caractérielles,
fréquemment utilisées dans le recrutement des cadres alors qu’elles « ont été initialement
conçues à l’usage des psychopathes et pas du tout pour des sujets normaux ». Pour Theil, ces
méthodes sont incapables de déceler scientifiquement « les tendances du « moi profond »
chez un sujet normal : elles sont entièrement subjectives et dépendent de l’interprétation de
l’examinateur (…) leur utilisation hors de la médecine psychiatrique est absolument
illégitime ». La communication de Theil conclut sur la nécessité de laisser la psychotechnique
d’encre, créé en 1921), le test de Rosenzweig (dit de frustration, au cours duquel on observe les réactions d’un
sujet face à des situations de déception, créé en 1934) et le test TAT (Thematic Aperception Test) créé par
Murray en 1935, basé sur le principe de l’identification entre le sujet et des personnages représentés sur des
images dans des situations à signification ambiguë.
86 Sur la diffusion des tests de personnalité en France à la fin des années 1950, voir ZURFLUH, 1976
87 Cette campagne touche à la fois la presse syndicale (Cadres et Profession CFTC, n° 141 et 142 juin et juillet
1960 ; Le médecin du travail CGT, n°47 mars 1962 ; Le Creuset CGC, n°382 du 1/02/1962, n°384 du
1/03/1962 ; Liaisons Sociales, 18/05/1962) et la presse grand public (Le Monde 10/05/1962 ; Paris Presse
11/05/1962 ; L’Aurore, 9/05/1962)
88 « Sur les abus auxquels donne lieu la sélection des cadres des entreprises par la psychotechnique appliquée de
façon systématique par des non-médecins », Communication du Dr Pierre Theil à l’Académie nationale de
médecine, 8 mai 1962.
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