Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
physiologistes du travail, comme Jules Amar ou Josefa Joteyko, le taylorisme est une réalité
inéluctable et il faut tenter de l’améliorer ou d’en atténuer les effets grâce aux connaissances
de la physiologie. Ce revirement à l’égard du taylorisme qu’a entraîné l’expérience de la
guerre par la rationalisation de nombreuses industries pousse les psychologues à diffuser leurs
méthodes au sein même des usines, et pas simplement dans les offices publics d’orientation
professionnelle créés par le ministère du travail ou les municipalités. Les premières
expériences dans ce domaine sont menées par Edouard Toulouse pendant la première guerre ;
il se livre à la sélection de femmes pour une compagnie de tramways parisiens afin de
remplacer les hommes partis au front (Turbiaux, 1995). Imbert mène des expériences
similaires pour la compagnie de tramways de Marseille. Malgré ces expériences isolées, il
faut attendre 1924 pour qu’une grande entreprise française, la STCRP, se dote de son propre
laboratoire de psychotechnique. La France a de ce point de vue un retard important sur ses
voisins. L’Allemagne comptait dèjà en 1922 170 laboratoires publics de psychotechnique,
contrôlés par le Ministère du travail et plus de 60 grandes entreprises avaient mis en place un
service de psychotechnique (Geuter, 1992, p. 218). Le retour du front et la nécessité de diriger
les anciens combattants vers des professions civiles avaient en effet entraîné des
transformations profondes du marché du travail, ouvrant un vaste champ d’expérimentations
pour la psychologie. De même aux Etats-Unis, on voit se multiplier dans les années 1920 les
applications de la psychologie au domaine du travail. La première guerre a permis le
développement de la psychologie appliquée et des tests mentaux. De ce fait, les psychologues
trouvent un auditoire plus réceptif à leurs méthodes de sélection dans les entreprises à partir
des années 1920. Certains, comme James McKeen Cattell ou Walter Dill Scott fondent même
leurs propres entreprises de psychologie industrielle (la Scott Company, créée par Scott en
1919, et la Psychological Corporation, créée par Cattell en 1921). Une presse spécialisée voit
le jour dès le début des années 1920 – le Journal of Applied Psychology (1917- ), le Journal
of Personnel Research (1922- ), Industrial Psychology (1926-1928) – et la profession
s’organise dans des associations professionnelles de praticiens qui se fédéreront au sein de
l’AAAP (American Association of Applied Psychology) en 1937. Il n’existe en revanche pas
d’initiatives du gouvernement en direction de la psychologie du travail (si on exclut
l’impulsion considérable donnée par l’armée lors de la première guerre). Ainsi, à la différence
de la France – et à un degré moindre de l’Allemagne – la psychologie industrielle s’organise
aux Etats-Unis autour d’un marché libre de services psychologiques, principalement tourné
vers les entreprises, et non vers un projet d’organisation de la société par les aptitudes.
177