Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
L’article de Jamous et Peloille ouvre une voie alternative à celle tracée par
Geneviève Paicheler (1992, voir supra) dans son analyse de la professionnalisation de la
psychologie aux Etats-Unis. Paicheler partait du constat d’une psychologie américaine divisée
depuis ses origines entre une « tendance métaphysique et idéaliste » et une « tendance
expérimentale et réaliste » : la professionnalisation de la discipline aux Etats-Unis n’aurait pu
se faire qu’en se raccrochant au modèle des sciences de la nature et en se libérant
progressivement du carcan d’une psychologie introspective et spiritualiste telle qu’elle fut
pratiquée par un William James à partir de 1890 (Paicheler, 1992, p. 95-96). Ce choix est
directement lié au souci de professionnalisation de certains psychologues expérimentalistes
(Granville Stanley Hall, James McKeen Cattell, Edwin Titchener, Walter Dill Scott, Hugo
Münsterberg…), qui se transformèrent entre 1890 et 1930 en véritables « entrepreneurs » de
leur discipline, la diffusant dans l’industrie, les écoles, les services sociaux… 68 . Les produits
professionnels qu’ils proposèrent se seraient montrés plus convaincants que les obscures
spéculations philosophiques des psychologues idéalistes, construisant ainsi les bases solides
d’un projet professionnel. La définition donnée de la professionnalisation révèle bien le
modèle néo-wébérien dont s’inspire l’auteur : « La professionnalisation est un processus à la
fois dynamique et dialectique de conquête et de conservation d’un territoire de savoirs et de
pratiques (…) [qui] implique l’existence d’une communauté unie par des consensus
minimaux et engagée dans une entreprise de persuasion du public » (1992, p. 24). Là encore,
les savoirs sont placés au rang de simples rhétoriques. Deux limites d’une telle approche
peuvent être pointées à la lumière de l’article de Jamous et Peloille :
1) Du point de vue de la « dynamique interne », Paicheler postule l’homogénéité d’un groupe
qui serait porteur du projet professionnel, là où existent en réalité des espaces professionnels
segmentés. La question de la professionnalisation de la psychologie consisterait alors
davantage à savoir comment ces deux tendances – l’une métaphysique, issue des spéculations
philosophiques ; l’autre réaliste issue du laboratoire – ont pu malgré tout se maintenir et
coexister au fur et à mesure que la psychologie émergeait comme profession, sans que l’une
ne soit totalement anéantie par l’autre. La plupart des diplômés de psychologie qui sortent
aujourd’hui des universités américaines ont des diplômes de psychologie clinique et la
méthode des tests ne sert plus guère aujourd’hui à légitimer le projet professionnel des
psychologues 69 . Si Paicheler montre bien la manière dont un paradigme se « ferme », elle ne
68 Les stratégies de mise sur le marché des « produits disciplinaires » de la psychologie industrielle ont été
étudiées dans un cadre assez proche de celui de Paicheler par VAN DE WATER (1997).
69 D’après les statistiques du NCES (National Center for Education Statistics), 46% des 15196 étudiants ayant
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