Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
pratique – avec ceux du groupe étudié. Nous avons ainsi été amenés à discuter à plusieurs
reprises le point de vue d’enquêtés qui estimaient que la psychologie souffrait d’un déficit de
statut sur le marché du travail en raison de "l’individualisme forcené" des psychologues, qui
les empêchait de s’engager dans toute forme d’action collective 37 . Une telle explication, qui
est en grande partie contredite par les faits (les psychologues ont par exemple fait preuve
d’une capacité bien plus grande que les sociologues à s’organiser collectivement), ne saurait
satisfaire entièrement le sociologue qui refuse de voir dans des dispositions individuelles le
seul principe d’explication des phénomènes sociaux.
Ces difficultés sont redoublées lorsque l’on s’intéresse à ce segment particulier de la
profession que constituent les psychologues du travail. A la différence des cliniciens ou des
expérimentalistes, ils ont en général acquis lors de leur formation de solides bases en
sociologie (notamment en sociologie du travail et des organisations) et sont par conséquent
enclins à formuler des conseils ou des avertissements au sociologue qui cherche à objectiver
leur position. Une telle situation s’est présentée à maintes reprises au cours des entretiens,
notamment auprès d’universitaires ou de psychologues menant parallèlement une activité de
chercheurs et de praticiens. Ainsi, certains psychologues de l’AFPA désapprouvèrent des
analyses que j’avais formulées dans un texte portant sur l’évolution de la profession de
psychologue dans cet organisme et demandèrent que l’objet du litige ne soit plus accessible en
ligne. Un autre, "spécialiste en sondage", formula des réserves sur la construction du
questionnaire, dont certaines questions étaient jugées trop orientées 38 . Un universitaire me fit
enfin remarquer que la diffusion d’un questionnaire par le biais d’un syndicat professionnel
« était contraire à la déontologie du sociologue », qui doit se maintenir dans une position de
pure d’extériorité.
Malgré ces nombreux points communs entre ces deux disciplines, il n’est nul besoin
de remonter jusqu’à Durkheim pour s’apercevoir à quel point divergent la sensibilité du
psychologue et celle du sociologue. De façon presque caricaturale, le sociologue ne peut
s’empêcher d’éprouver un réflexe professionnel de méfiance à l’égard du discours véhiculé
par certaines des personnes interrogées et du peu de cas qu’elles font des explications que, lui,
37 Voir par exemple le point de vue de cette psychologue (entretien n°23) :
Q : Il y a des syndicats de psychologues du travail dans la région ?
R : A ma connaissance non. Mais même au niveau national je crois pas qu’il y en ait beaucoup. Mais ils sont pas
très collectifs non plus les psychos… C’est la tendance plutôt individualiste. Moi même au début quand ça allait
pas j’avais tendance à me renfermer, à me remettre en cause moi-même… J’ai fait des thérapies des machins…
On dit plutôt : « si tu t’en sors pas c’est ton problème… Pose toi des questions sur toi… »
38 Ainsi, il me fut reproché d’interroger uniquement les personnes sur « ce qui leur déplaisait le plus dans leur
travail » sans poser la question inverse.
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