Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

l’entre-deux guerres, les recherches physiologiques représentaient 40% des publications de la
revue Le Travail Humain ; dans l’après guerre elles deviennent largement minoritaires et sont
supplantées par des recherches statistiques et psychométriques qui occupent 50% des
publications de 1946 à 1959, traduisant bien les préoccupations du nouveau directeur de la
revue : Raymond Bonnardel 11 .
b) Des "métiers" aux "qualifications"
tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
La méthode d’analyse factorielle, importée des Etats-Unis par Bonnardel à la fin des
années 1930, connut très rapidement un grand succès en France 12 . Bonnardel la mit en œuvre
dans son service de sélection psychotechnique des usines Peugeot 13 , où il réalisa les
étalonnages de ses tests sur les différentes catégories de populations de l’entreprise (O.S.,
ouvriers qualifiés, contremaîtres, cadres…), mettant en évidence des courbes différentes pour
chacune d’entre elles. Il est intéressant de noter que la méthode ne s’appuie plus sur des
découpages de « métiers » définis a priori par des tâches immuables et irréductibles les unes
aux autres, mais sur des catégories de classification définies au niveau de la branche ou de
l’entreprise, ouvrant la voie à une gestion des flux de main d’œuvre à plus grande échelle.
Bonnardel est ainsi le premier à avoir eu recours à des tests psychotechniques dans le
recrutement d’OS, puisque jusqu’alors ces examens étaient réservés à des postes ayant des
exigences particulières (en matière de sécurité par exemple) ou renvoyant à une identité de
métier bien définie. Dans d’autres entreprises, comme la SNECMA 14 , la psychotechnique est
principalement utilisée pour assurer la promotion d’ouvriers qualifiés vers des postes de
contremaîtres ou de cadres, en détectant chez les individus une capacité générale d’évolution
professionnelle. Il ne s’agit donc plus, comme dans les années 1920-1930, d’assurer
l’ajustement "naturel" entre des métiers et des aptitudes ancrées dans les individus, mais de
favoriser une évolution des individus dans une échelle hiérarchique :
« La principale partie du travail dans les années 1950 c’était l’orientation pour les
évolutions de carrière. Les recrutements, c’était au coup par coup quand ils avaient
besoin… et c’était surtout des cadres à ce moment-là. Tandis que tout le reste, toute
11 Bonnardel prit la direction de la revue en 1946, trois ans après la mort de Lahy. Laugier restera co-directeur
jusqu’en 1951. Pour une analyse détaillée du contenu des 103 premiers volumes du Travail Humain, voir
l’article de RESCHE-RIGON (1984), écrit pour le cinquantenaire de la revue.
12 En réalité, comme le souligne REUCHLIN (1954, p. 215) les tests construits sur l’analyse factorielle arriveront
en France avec une dizaine d’années de retard sur les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, qui les avaient adoptés
dès la fin des années 1920. L’empreinte de la physiologie demeure donc plus forte en Europe continentale que
dans ces pays, ce qui est certainement à relier à la plus grande prégnance d’une représentation « corporelle » du
travail humain.
13 C’est d’ailleurs pour bien marquer sa différence vis-à-vis de l’approche de Lahy que Bonnardel nomma son
laboratoire de Peugeot « laboratoire de psychométrie » et non « laboratoire de psychotechnique ».
14 Entretien n°50 avec Mme Lavoëgie, élève de Bonnardel et ancienne psychotechnicienne pour la SNECMA
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