Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

« Aucune science ne saurait être
véritablement comprise sans sa propre
histoire, toujours inséparable de l’histoire
générale de l’humanité »
Auguste Comte, Système de politique
positive, 1853, t. III, p. 2
tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
Dans un article écrit en 1952 à la demande de l’Association Américaine de
Psychologie (APA), Everett Hughes suggérait que la psychologie aurait à affronter au cours de
son évolution un problème redoutable : celui du décalage croissant entre les recherches de
laboratoire et un exercice professionnel de la psychologie 1 . Hughes distinguait deux horizons
possibles et difficilement conciliables pour la discipline : celui qui consistait à être avant tout
une science, une « profession savante », ou celui d’être une « profession consultante ». Ces
deux horizons engagent des postures sensiblement différentes. Dans le modèle le plus pur,
« l’homme de science, n’a pas de client. Il découvre, systématise et communique des
connaissances sur un ordre de phénomènes » (art. cit., p. 139). Le seul jugement qu’il a à
affronter est celui de ses pairs, qui sont d’ailleurs souvent les seuls à comprendre l'intérêt de
son travail. Toute autre est la posture du « professionnel », qui « gagne sa vie en délivrant un
service ésotérique » (art. cit., p. 140) et qui est quotidiennement confronté au jugement de ses
clients. Ces derniers attendent de lui des résultats tangibles, une solution pratique à leurs
problèmes quotidiens.
Pendant des décennies, la psychologie s’est maintenue à l’écart du danger évoqué par
Hughes. Le discours savant et les applications pratiques se sont renforcées mutuellement :
l’activité des praticiens puisait sa légitimité dans la science et inversement la science se
nourrissait des applications pratiques. L’utilisation de tests psychotechniques à l’école, dans
les entreprises ou dans certaines administrations (armée, service public de l’emploi…) se
fondait sur des résultats tangibles produits dans d’éminents laboratoires et inversement ces
utilisations sociales justifiaient pleinement l’activité des savants et leur donnait matière à de
1 Cet article, initialement publié dans un numéro spécial de The American Psychologist à l’occasion de la mise
en place d’un « code de déontologie des psychologues » par l’APA (1952), a été repris dans HUGHES (1981
[1958]).
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