Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
l’orientation qui est que « la nature de l’homme est d’être un outil, sa vocation c’est d’être mis
à sa place, à sa tâche » 32 . Cela revient à dire, dans les termes de Hughes (1996 [1958]) qu’ils
ne disposent pas d’un mandat suffisamment large pour définir eux-mêmes les valeurs qui
fondent leur intervention. La licence qu’ils revendiquent tient alors davantage à un « pacte de
coexistence pacifique conclu entre professionnels qu’à une essence logique » 33 .
Le passage de la psychotechnique à la « psychologie d’entreprise » représente pour
nombre de psychologues une évolution valorisante : elle leur permet de quitter le domaine
étroit du recrutement et de remplir des missions en apparence plus « humaines ». Au lieu de
sélectionner les travailleurs, le psychologue entend les aider à mieux se réaliser dans leur
travail, à travers la formation, la psychosociologie, ou (plus rarement) l’aménagement des
postes de travail. Cette évolution peut se lire dans les enseignements délivrés aux
psychologues du travail dans les établissements d’enseignement supérieur entre 1950 et 1970.
Au CNAM par exemple, l’enseignement du Professeur Bize (« Chaire de sélection et
orientation professionnelle ») était surtout resté tourné vers la psychotechnique et la méthode
des tests entre 1947 et 1970, ce qui avait certainement contribué à la sclérose de la
psychotechnique au CNAM au cours de cette période 34 . L’arrivée en 1970 du Professeur
Goguelin traduit le souci d’introduire des thèmes novateurs, comme le « perfectionnement »,
la « dynamique de groupe », « l’homme dans l’organisation » etc. qui correspondent, selon
Goguelin, aux nouvelles missions dévolues aux psychologues dans les entreprises (voir
tableaux VII-1 et VII-2, annexe 7).
L’évolution vers de nouvelles fonctions se fait toutefois au prix d’une perte de
spécificité de la mission de psychologue dans l’entreprise, celui-ci venant se fondre dans une
fonction plus large de gestion du personnel. Comme le souligne en 1964 un psychologue
d’entreprise appelé à présenter ses missions dans le Bulletin de psychologie :
« Mis à part le domaine limité de la psychométrie, la psychologie à l’état pur ne
constitue pas actuellement sur le marché du travail un métier, en ce sens qu’un
directeur d’entreprise embauchera rarement un psychologue pour lui confier
directement des problèmes de formation, d’information, d’ergonomie etc. C’est un
fait qui donne à réfléchir : par exemple, une proportion considérable de personnes
s’occupant des problèmes de formation dans les entreprises sont d’origine technique
ou commerciale et reçoivent dans des stages parfois longs et sérieux un complément
de formation psychologique nécessaire à leur activité de formateur. Il faut prendre
conscience que les utilisateurs, en l’occurrence les directeurs d’entreprise,
32 CANGUILHEM (op. cit., p. 378)
33 Ibid., p. 366
34 Environ 4000 étudiants furent formés en psychologie du travail par le Professeur Bize entre 1947 et 1970.
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