Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
partie du monde politique suit avec attention les progrès des sciences du travail, et certains y
voient l’occasion de justifier leurs réformes. Ainsi Edouard Vaillant, médecin de formation,
entend s’appuyer sur les découvertes des physiologistes pour justifier le vote de la journée de
huit heures. Dès 1901, il s’était intéressé à la physiologie du travail comme en témoignent
certains passages de La législation ouvrière et l’hygiène (1901). Le discours qu’il prononce à
la Chambre en 1912 en faveur de la journée de 8 heures contient de nombreuses références
aux recherches des physiologistes du travail : « Il y a à la vitesse des mouvements du travail
une limite qu’il ne faut pas dépasser. C’est ainsi que Maggiora en Italie, Richet et Broca en
France ont montré dans quelles conditions, grâce à un rythme normal, à des intervalles de
repos séparant les mouvements successifs, le muscle était capable de produire une quantité de
travail beaucoup plus grande qu’il n’en donne si, sa fatigue croissant, ces intervalles de repos
se réduisent, disparaissent. » (Discours à la Chambre, 11 mars 1912). En février 1913, alors
qu’il est Ministre du travail, Vaillant demande la création au CNAM d’un centre de
recherches sur le travail professionnel, projet qui serait réalisé sur un budget spécial alloué par
le Ministère du Travail. Son projet est très ambitieux : il s'agit rien moins que d'établir, grâce
à la physiologie, une réglementation de la durée du travail dans chaque profession :
« L'étude de la fatigue professionnelle rencontre une application immédiate et
pratique dans la détermination des travaux qu’il y a lieu d'interdire aux enfants et
aux femmes (…) Cette étude pourrait également fournir des données précises qui
interviendraient utilement dans la limitation de la durée du travail dans les
différentes professions. » 37
Un troisième champ d’application est celui de la sélection professionnelle : le psychophysiologiste
doit veiller à ce que les ouvriers recrutés présentent les aptitudes requises, non
dans le but d’atteindre le rendement maximum par la sélection des meilleurs, mais en vue
d’optimiser l’utilisation des forces sociales, dans un contexte de rareté relative de la main
d’œuvre. Optimiser, c’est-à-dire rechercher le point d’équilibre entre les besoins de la société
et le bien-être des travailleurs :
« Au lieu d’adopter aveuglément les principes de W Taylor, ils [les directeurs
d’usines] auront avantage à recruter, au fur et à mesure des besoins, un jeune
personnel possédant les qualités psychologiques nécessaires au parfait exercice de
leur profession. Ceux qui ne sauraient être agréés chercheront, avec l’aide du
psycho-physiologiste, des occupations conformes à leurs aptitudes. Au bout de
quelques années, on verra diminuer le nombre des déclassés et augmenter le
rendement industriel » (Lahy, 1916, p. 71, souligné par nous)
On est bien ici aux antipodes de la conception d’un Taylor, qui recherche au
contraire le rendement maximum à court terme, en essayant d’exploiter au maximum les
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