Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
sphère privée du travailleur dans l’acte productif. Jacques Donzelot (1980, p. 298) remarque
ainsi qu’au début du XX e siècle, deux discours se partagent la question du travail : l’un
juridique, l’autre médico-psychologique. Ces deux discours « instituent le partage entre
l’ouvrier, sujet de droits, et le travail, objet d’une science dont l’ouvrier n’est qu’un facteur »,
ils « vont organiser le partage de la production en deux entités relativement distinctes, le
social et l’économique. Le social est du côté de l’attribution du droit, de la résistance à la
logique productive. Il développe le statut du travailleur contre le contrat qui l’asservit au
rendement, la solidarité des employés contre le profit de l’employeur, la satisfaction par le
salaire et le loisir contre la frustration par le travail. L’économique est du côté de la
distribution des forces, en fonction du rendement, de la rationalisation des tâches en fonction
du profit, de l’intensification du travail en fonction de l’accroissement de la production ».
L’analyse de Donzelot situe clairement le projet de la psychotechnique du côté de
l’économique : il s’agit d’améliorer la distribution des forces productives, en sélectionnant les
individus les plus aptes et en les orientant sur le marché du travail selon leurs aptitudes
psychophysiologiques 4 . Le travailleur pouvait devenir, comme tout autre facteur de
production, l’objet d’une connaissance scientifique positive. Du coup, cette discipline se
construit nécessairement contre le social et contre le projet de la sociologie qui se situe plutôt
du côté du politique, des liens de solidarité et d’interdépendance, faisant du travailleur non
seulement un producteur mais aussi un citoyen. Alors que le travail moderne tend à dissoudre
le lien social et les solidarités de métier au profit d’une logique exclusivement productive qui
déqualifie le travailleur, l’émergence du social le requalifie dans le même temps, en le dotant
de droits sociaux et politiques.
On a là deux figures parallèles du progrès qui courent au long du XX e siècle : d’un
côté un progrès dans la rationalisation et la production qui permet une affectation des forces
sociales toujours plus efficace, de l’autre un progrès social qui se manifeste par la conquête de
droits, de liens de solidarité et principes d’assurances qui garantissent au travailleur des
protections et un statut (Castel, 1995), à la fois dans en dehors du monde du travail.
physique ni l’intégrité psychique, et au contexte économico-social nécessaire à l’épanouissement de chacun ».
4 Bien que chez Toulouse, Piéron ou Lahy la psychotechnique prenne un visage humaniste, elle ne se place pas
moins du côté de l’"économique" au sens où l’entend ici Donzelot. En affectant les plus aptes aux meilleures
positions et en récupérant les inaptes, on permet un meilleur fonctionnement de la société et on évite ainsi la
gâchis d’énergies auquel conduit le taylorisme. Finalement, les psychophysiologistes reprochent à Taylor de
n’avoir pas poussé assez loin la logique de rationalisation en négligeant le fonctionnement interne de la machine
humaine.
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