Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
propres organismes de formation (l’Institut de Psychologie, l’INOP, le CNAM) 46 . C’est à
cette condition seulement que le savoir peut être transmis à des disciples : ce qui était
jusqu’alors mouvant se solidifie progressivement et la rationalisation du système cognitif
prend le pas sur les préoccupations politiques et de réforme sociale qui avaient animé les
premiers psychophysiologistes. Alors que ceux-ci mêlaient étroitement dans leurs travaux des
raisonnements économiques, sociologiques, physiologiques et psychologiques, on voit le
paradigme de la science du travail se fermer autour de la psychotechnique et de la méthode
des tests, acquérrant progressivement une cohérence et une logique interne parfois détachée
des enjeux sociopolitiques initiaux. Ce nouveau savoir est enseigné à un ensemble de
professionnels – psychotechniciens, surintendantes d’usine, directeurs du personnel,
conseillers d’orientation professionnelle – qui s’appliquent à mettre en œuvre ces
technologies sociales dans l’industrie ou à l’école. On assiste aussi à l’émergence d’un
marché du travail structuré autour de ce savoir, de diplômes, de réseaux de relations,
d’associations professionnelles et savantes etc. La seconde concession qui est faite au projet
initial des psychophysiologistes du travail est d’ordre plus idéologique : à la fin des années
1930, seuls quelques rares psychotechniciens croient encore que leur science peut contribuer à
résoudre les conflits entre le patronat et le monde ouvrier, et surtout qu’elle peut être mise au
service des travailleurs. Cette discipline a rejoint, aux côtés du taylorisme, l’arsenal des
technologies sociales qui se sont diffusées dans les entreprises durant l’entre deux guerres.
Lahy et Laugier font de ce point de vue certainement figures d’exceptions puisqu’ils placent
encore leur science sous le signe de l’engagement politique 47 .
Une précision s’impose avant de poursuivre : les nombreuses affinités entre les
conseillers d’orientation professionnelle et les psychotechniciens durant l’entre-deux guerres
justifient les parallèles fréquents que nous établirons entre ces deux groupes. D’une part, les
deux professions participent bien toutes deux d’un même positivisme de la mesure, qui voient
essentiellement la psychologie sous l’angle de la psychométrie et des tests. Orientation
professionnelle et psychotechnique ne forment d’ailleurs qu’une seule et même discipline 48 et
ce n’est que bien plus tard (dans les années 1950) qu’elles se différencieront plus clairement.
46 Voir Annexe II-10, annexe 2 : « Le monde de la psychotechnique en France 1920-1939 »
47 Laugier, bien que très engagé à gauche, gardait ses distances vis-à-vis du parti communiste, contrairement à
Lahy et Piéron qui étaient membres de « Cercle de la Russie Neuve » et « collaborateur scientifique » à
L’Humanité (voir RIBEILL, 1995).
48 La première « Conférence internationale d’Orientation Professionnelle », organisée en 1920 à l’initiative du
psychologue suisse Edouard Claparède deviendra l’année suivante « Conférence internationale de
Psychotechnique », ce qui montre bien qu’au début des années 1920 orientation professionnelle et
psychotechnique sont quasiment synonymes : elles se définissent toutes deux comme la « science des aptitudes »
151