Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
marché du travail, la mise en relation entre offre et demande de travail est soutenue par un
ensemble d’acteurs, d’institutions et de supports cognitifs qui construisent socialement la
qualification des travailleurs, à travers des épreuves de jugement mettant face à face un
« évaluateur » et un travailleur 17 . La plupart de ces recherches se concentrent toutefois sur des
situations d’interaction inscrites dans l’« ici » et le « maintenant » et ne s’intéressent guère
aux dispositifs cognitifs inscrits dans la durée. Or, il est permis de penser que ceux-ci
encadrent fortement l’activité des intermédiaires du marché du travail en les alimentant
régulièrement en schémas théoriques et pratiques. De ce point de vue, la forte emprise de la
psychologie du travail sur les pratiques des acteurs du marché du travail (à travers la méthode
des tests jusqu’aux années 1970, puis la méthode clinique aujourd’hui) mérite d’être
interrogée et réinscrite dans un ensemble de réflexions plus vaste sur l’encastrement social du
marché du travail et ses formes de rationalisation : quels sont les effets de cette discipline sur
le fonctionnement du marché du travail, que nous apprennent ses transformations sur celles du
marché du travail, en quoi guide-t-elle les conduites des travailleurs sur le marché du travail ?
Comme dans bien d’autres domaines, le processus décrit ici est celui d’une économicisation
croissante des relations sociales sur le marché du travail, la psychologie permettant de décrire
dans des registres toujours plus fins les caractéristiques des travailleurs susceptibles de donner
lieu à une valorisation marchande. Ainsi, au langage des aptitudes psycho-physiologiques du
début du XX e siècle a succédé, dans les années 1920 celui des aptitudes psychologiques, puis
celui des tests de personnalité dans les années 1950. La période actuelle semble ouvrir de
nouveaux chantiers pour la psychologie du travail avec le développement d’outils
d’inspiration clinique ou thérapeutique, qui permettent de faire entrer dans le registre
marchand des dimensions du travailleur jusqu’alors négligées. Encore une fois, il ne s’agit pas
pour nous de prétendre que ces savoirs disciplinaires ont des effets directs sur le marché du
travail, mais d’analyser les processus d’échanges réciproques entre un savoir scientifique et
un domaine de la pratique, à travers l’action des professionnels.
La dernière raison qui nous a conduit à nous pencher sur les applications de la
psychologie dans le domaine du travail tient au fait que ce domaine est l’un des premiers à
avoir donné lieu à des applications professionnelles de la psychologie. Il nous permettait ainsi
d’étudier sur une longue période (depuis le tout début du XX e siècle) les déplacements du
regard psychologique, et de mettre au jour différentes formes de « psychologisation » de la
17 Cet évaluateur est le plus souvent un recruteur (EYMARD-DUVERNAY et MARCHAL, 1997) mais il peut aussi
s’agir d’un salarié du service public de l’emploi (BENARROSH, 2000 pour l’ANPE, BEAUD, 1996 pour les
missions locales) ou d’une agence d’intérim (CAIRE et KARCHEVTSKY, 2000).
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