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Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

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tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

développée par Lahy ou Toulouse, le psychotechnicien n’était pas davantage au service du<br />

patron que de l’ouvrier : il occupait une position externe d’"arbitre" <strong>des</strong> conflits sociaux et<br />

tirait sa légitimité de la science. Son « mandat », au sens de Hughes (1996 [1958]), se situait<br />

sur un plan « moral » : éviter les déclassés sociaux et la sous-utilisation <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong><br />

individuelles, en vue de construire une société entièrement organisée sur la base <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong><br />

(la « biocratie » de Toulouse). C’est certainement pour cette raison que la psychotechnique se<br />

développe principalement en France dans les services publics : ceux-ci permettent au<br />

psychotechnicien de préserver son indépendance plus facilement que s’il était placé sous le<br />

contrôle d’un chef d’entreprise. L’idée même de « psychologue d’entreprise » – ou de<br />

« psychologue industriel » – est impensable dans cette conception classique, puisqu’elle<br />

définit le psychologue par son lieu d’exercice et non par l’accomplissement d’un idéal<br />

(l’orientation de chacun selon ses aptitu<strong>des</strong>, l’amélioration <strong>des</strong> procédés de travail, la<br />

préservation de la santé du travailleur…). Dans l’approche américaine de la psychologie<br />

industrielle, qui entrera en France dans les années 1960, les psychologues sont dépossédés de<br />

ce mandat : ils ne placent plus leur savoir au service d’un idéal de société mais deviennent les<br />

« instruments » d’une volonté patronale. La psychologie industrielle devient un conglomérat<br />

de « techniques » dépourvues d’unité, visant à accroître la productivité du travailleur. Leur<br />

unité tient au lieu d’application de ces techniques : l’entreprise capitaliste. Le Human<br />

engineering ne se place pas de ce point de vue dans une situation différente de la psychologie<br />

d’entreprise : sa finalité est bien aussi d’améliorer la productivité individuelle, la définition<br />

<strong>des</strong> fins étant laissée à la discrétion du chef d’entreprise. Il en va de même du « counseling »<br />

et <strong>des</strong> « relations humaines » d’Elton Mayo, qui cherchent à humaniser le lieu de travail en<br />

vue d’améliorer la productivité. Comme le note l’un <strong>des</strong> chefs d’entreprise américains<br />

rencontrés par la mission :<br />

« la sociologie a démontré que les hommes produisaient mieux lorsqu’ils étaient<br />

heureux, et nous nous efforçons de les rendre heureux. Mais si l’expérience prouvait<br />

que les hommes produisent mieux lorsqu’ils sont furieux, nous nous efforcerions de<br />

les rendre furieux en permanence » 31 .<br />

Une telle remarque signifie bien que les « psychologues d’entreprise » ne sont pas<br />

investis d’un « mandat » qui les pousserait à améliorer la condition de l’homme au travail,<br />

mais se placent au service de la productivité et donc du système capitaliste. On comprend<br />

mieux alors la critique adressée par Canguilhem aux psychologues à la fin <strong>des</strong> années 1950<br />

lorsqu’il met en évidence que le « postulat implicite commun » de toutes les psychologies de<br />

31 Cité par OHAYON (op. cit., p. 311)<br />

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