27.12.2013 Views

Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

moyen de préserver une organisation corporative et d’éviter l’enfermement dans <strong>des</strong><br />

organisations du travail trop rigi<strong>des</strong> ; les patrons de leur côté se débarrassent <strong>des</strong> questions<br />

d’organisation du travail et notamment de recrutement, de licenciement, de contrôle, qui sont<br />

laissées à la discrétion du marchandeur ; ils peuvent ainsi se consacrer pleinement à de pures<br />

tâches de gestion commerciale et laisser aux gens du métiers le soin d’organiser le travail. Il<br />

arrive parfois que <strong>des</strong> formes intermédiaires de marchandage voient le jour, le patron<br />

négociant directement avec les ouvriers les conditions de rémunération, et déléguant à un<br />

tâcheron 9 le soin de recruter l’équipe et d’organiser le travail (Mottez, op. cit., p. 36). Les<br />

économistes libéraux et nombre de juristes font également l’apologie du marchandage,<br />

considéré comme le mode d’organisation le plus rationnel économiquement, car le plus<br />

proche du jeu de la « main invisible » du marché. Pour Leroy-Beaulieu (1896, p. 494), le<br />

marchandage est le système « qui permet le maximum d’économie dans toute l’organisation<br />

d’une entreprise, et, techniquement celui qui permet le maximum d’efficacité technique<br />

puisque l’œil du maître s’est ainsi subdivisé et multiplié au point d’être présent dans chaque<br />

groupe ».<br />

On comprend aisément qu’une telle organisation du marché du travail favorise le jeu<br />

de la « main chaude » : les conditions de rémunération et de travail se négocient de gré à gré,<br />

en fonction <strong>des</strong> deman<strong>des</strong> qui se présentent au marchandeur. Celui-ci, qui revêt le double<br />

visage de « petit patron » et « d’homme du métier » est mieux à même que quiconque (a<br />

fortiori que le patron) de connaître et recruter les hommes capables de mener à bien la<br />

mission confiée ; plus encore, la répétition <strong>des</strong> interactions avec les ouvriers, à chaque nouve<br />

contrat, lui permet d’éliminer les moins efficaces et de se constituer progressivement une<br />

équipe de travailleurs réguliers (Mottez, op. cit., p. 43).<br />

La psychotechnique peut difficilement trouver sa place sur un tel marché du travail.<br />

Elle produit <strong>des</strong> individus désincarnés, purs supports d’aptitu<strong>des</strong> abstraites, là où le<br />

marchandage s’appuie sur les réseaux de solidarité du métier, la connaissance interpersonnelle<br />

et la répétition <strong>des</strong> interactions. La persistance d’une telle organisation en France et la<br />

faiblesse de la grande industrie jusqu’au lendemain de la Première Guerre fera que, à la<br />

différence <strong>des</strong> Etats-Unis ou de l’Allemagne 10 , la psychotechnique ne naîtra pas du problème<br />

du recrutement au sein <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> industries, mais davantage <strong>des</strong> problèmes posés par la<br />

entreprises exerçant pour le compte de l’Etat, puis progressivement dans les autres secteurs.<br />

9 L’appellation de « tâcheron » est synonyme de celle de « marchandeur » (voir supra)<br />

10 Sur les conditions d’apparition de la psychotechnique aux Etats-Unis, voir BARITZ (1960). Sur l’Allemagne,<br />

voir RABINBACH (1995)<br />

129

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!