Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

notamment dans les procédures de recrutement. Cette évolution, toutefois, n’a pas été à sens
unique : elle a développé, en amont, des postes plus qualifiés pour des psychologues chargés
de la conception de tels programmes de tests informatisés.
Les transformations de la psychologie du travail sont pourtant d’une nature plus
profonde que cette simple « déprofessionnalisation », au sens où l’entend Toren. Pour les
comprendre il est nécessaire d’analyser l’évolution des différents paradigmes au sein de la
psychologie, que l’on pourrait caractériser, à la suite de Paul Fraisse (1982), comme le
passage d’un paradigme de la psychologie expérimentale, qui dominait le champ de la
psychologie du travail française depuis les années 1920, à un paradigme de la psychologie
clinique 65 . L’article de Jamous et Peloille (1973) ouvre des pistes intéressantes pour une telle
analyse, puisqu’il se penche précisément sur les répercussions professionnelles d’un
changement de paradigme au sein de la médecine dans la première moitié du XX e siècle.
tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
b) Changements de paradigme et reconfigurations professionnelles :
l’exemple de la médecine en France XIX e -XX e siècle
L'article de Haroun Jamous et Bernard Peloille (1973) préfigure à bien des égards la
sociologie marxiste des professions qui s’épanouira dans les années 1970 et 1980, puisque les
auteurs évoquent "l'auto-perpétuation" d'un système de privilèges au sein du corps médical
français au cours du XIX e et XX e siècle. Cet article, quelque peu tombé dans l’oubli en
France, est en revanche abondamment cité par la littérature anglo-saxonne, qui y a vu une
remise en cause du schéma fonctionnaliste de la relation médecin/malade 66 . Le fond de
l’article réside dans l’examen du passage d’un mode de légitimité dominant à un autre au sein
de la médecine française, à l’occasion de la réforme Debré de 1958 qui institua les Centres
Hospitalo-Universitaires (C.H.U.). Cette réforme mit un point final à une querelle qui divisait
la médecine française depuis la seconde moitié du XIX e siècle, entre les partisans d’une
médecine à orientation principalement empirique et clinique (dans la tradition de Laënnec, de
Broussais et des « grands patrons » de la faculté de médecine de Paris) et une médecine à
orientation bio-médicale qui, située aux marges de la profession, remettait en cause le credo
65 « La conception du rôle des psychologues dans les tâches d’application a beaucoup évolué. Le psychologue a
longtemps été considéré comme un psychotechnicien à qui l’on confiait des tâches ponctuelles : sélection du
personnel, orientation professionnelle, diagnostic psychologique comme document d’un dossier médical. Tous
s’appuyaient sur des tests qui étaient, qui sont d’utiles constats, mais dont la rationalité scientifique et la valeur
prédictive restent faibles. Aussi bien la plupart des testeurs ont fait éclater leur rôle. Ils sont aujourd’hui
ergonomes, psychologue d’entreprise, conseiller en organisation, conseiller en éducation, psychosociologue,
psychothérapeute, etc. » (FRAISSE, 1982, pp. 20-21)
66 Il faut préciser que dans sa version initiale l’article avait été publié en anglais, dans JACKSON (1970). Une
version française a été publiée ultérieurement dans JAMOUS (1973). Je remercie Michel Arliaud de m’avoir
80