Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
elle « refuse de s’occuper du caractère plus ou moins officiel de la formation du
psychotechnicien qu’elle juge à sa valeur, à son honorabilité et à ses résultats. Elle s’interdit
de prendre parti pour une méthode plutôt que pour une autre ». Les seuls critères de choix des
membres s’appuient donc sur « l’expérience professionnelle et sociale du candidat (…) sa
valeur au regard de ses pairs et de ceux qui ont utilisé ses services ». On retrouve dans ce
mode d’organisation le modèle idéal-typique de la profession libérale, décrit par Larson
(1977), où la valeur personnelle (c’est-à-dire sociale) du professionnel compte davantage que
ses accréditations officielles. Dans cette perspective, le professionnel est avant tout un
"honnête homme", à la réputation solidement établie, qui n’a pas besoin d’exhiber ses titres
pour établir une relation de confiance avec un client 70 . Une telle situation résulte très
certainement de la faible codification des formations et des savoirs psychotechniques au début
des années 1950, qui conduit à mettre davantage l’accent sur les propriétés sociales des
personnes que sur des critères de compétence purement technique. En amont, on peut aussi
relier la position des différentes associations à des principes de justification différents. Alors
que l’APPD met en avant des critères de compétence scientifique et de qualification, attestés
par un diplôme, la CSCPT insiste davantage sur « l’expérience » et « le savoir-faire » acquis
par une longue pratique du métier et reconnus par un réseau de confrères.
Le paysage associatif du monde de la psychotechnique au tournant des années 1950
montre donc bien la diversité des voies de professionnalisation poursuivies, selon la position
des différents acteurs et leur rapport au savoir académique officiel. On voit que la détention
d’une expertise technique n’est pas la seule base possible du projet professionnel et que se
jouent en amont différentes conceptions du métier : l’une centrée sur l’expertise technique,
l’autre sur la dimension militante et une dernière enfin sur les propriétés sociales et
l’honorabilité des membres de la profession. Les lignes de partage dessinées ici seraient
certainement transposables à d’autres professions, au moins dans leur phase initiale de
constitution. Ainsi, l’opposition entre "militantisme" et "expertise technique" se retrouve dans
un bon nombre de professions sociales ou nées d’un champ d’intervention de l’Etat
providence (journalistes sociaux, travailleurs sociaux, sociologues, urbanistes…). La tension
entre "expertise technique" et "propriétés sociales" est davantage le fait des professions
consultantes, où se jouent des relations de confiance interpersonnelle (avocats, comptables,
70 On retrouve ici l’idée de « profession-réseau », présente chez KARPIK (1989), où la compétence de l’avocat
repose tout autant sur ses « savoirs faire informels et personnels » et des réseaux de confiance interpersonnels,
que sur des savoirs codifiés.
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