Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
R1 : Avant 1990 le service de psycho avait un pouvoir de décision dans les
promotions internes. C’était même pas la hiérarchie qui décidait. Seulement le
service psycho ! En fonction des tests : « toi tu passes, toi tu passes pas »…. Donc à
un moment donné, il y en a qui étaient frustrés et les syndicats ont commencé à
râler, ce qui fait qu’ils ont décidé d’arrêter ce système de promotion
R2 : Oui… Le reproche, c’est que ça faisait l’effet de boîte noire en fait : le candidat
rentre passe dans un processus, et il en ressort bien ou pas bien… Avec une croix ou
pas … Sans qu’il y ait forcément toujours de cohérence dans les dispositifs utilisés
par rapport à la fonction recherchée… Enfin, du moins, c’était des outils standards…
Q : Ca ne s’appuyait pas sur des études de poste précises ?
R2 : Non non… C’était une batterie de tests : « je la réussis tant mieux, je la réussi
pas tant pis ».
R1 : …. J’ai l’impression que c’est une période un peu taboue à la Poste et les gens
sont pas très loquaces par rapport à cette période là… Et à la limite c’est ce qui a fait
le malheur des psychos à la Poste. Le fait d’avoir non pas ce rôle de conseil, mais de
décideur, a été rejeté en bloc à un moment donné, et puis on a tout rejeté au passage,
quoi…
R2 : … Oui, parce qu’il y a encore des postiers qui sont là et qui ont connu cette
époque d’avoir été promus, ou non promus par le service psycho, qui ne veulent pas
entendre le nom de psychos. Donc nous on est tous de formation psycho, mais on est
ingénieurs de sélection, consultants en recrutement. La terminologie de psychologue
a disparu. (Psychologues, homme et femme, centre de sélection et d’orientation
de la Poste).
On voit par là tout le paradoxe de la psychotechnique. Le psychologue, armé de ses
instruments d’objectivation, est censé garantir la justice de la procédure d’évaluation en
l’arrachant au pouvoir local et à l’arbitraire des contremaîtres ou des petits chefs. Mais bien
que ses procédures soient perçues comme « justes », il n’en porte pas moins tout le poids
moral et la responsabilité de la sélection. Ce paradoxe illustre deux choses : d’une part l’acte
d’évaluation, aussi rigoureux soit-il du point de vue scientifique, reste profondément ancré
dans un rapport social et ne peut se tenir dans une sphère qui serait en dehors des jeux de
pouvoirs et de relation internes à l’entreprise. On l’a vu notamment dans les efforts menés par
les syndicats pour se réapproprier l’outil psychotechnique (chapitre III). D’autre part, les
méthodes d’évaluation changent au fil du temps, mais il y a toujours un acteur qui doit
prendre sur lui le poids moral de l’évaluation et de la « pesée » sociale des individus, même si
cela a été désigné sous des termes différents (aptitude, compétence…). Cela tient peut-être,
comme l’ont souligné Eymard-Duvernay et Marchal (2000) au fait que toute procédure
d’évaluation est perçue comme injuste dès lors qu’elle ne prend pas appui sur un cadre
collectif. Ce sont finalement les syndicats qui ont eu raison de la psychotechnique à la Poste,
conduisant à une restructuration du service qui est aujourd’hui davantage un service
d’"orientation" et d’accompagnement que de sélection. Les missions des psychologues
s’orientent désormais dans deux directions : le conseil en gestion de carrière à la demande de
certains cadres de haut niveau (bilan professionnel) ; et une mission d’"expertise" interne que
peuvent solliciter (à la demande) les responsables hiérarchiques des centres de tri ou des
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