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Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

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tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

davantage inspirée du lamarckisme (adaptation au milieu) que du darwinisme (sélection <strong>des</strong><br />

plus aptes). Les aptitu<strong>des</strong>, bien que naturellement ancrées dans les individus, ne sont pas chez<br />

Lahy et Imbert <strong>des</strong> données immuables. Elles sont susceptibles d’évoluer au fil du temps par<br />

un processus continu d’adaptation de l’individu à son environnement. Le milieu de travail<br />

n’est pas non plus considéré comme immuable ; l’une <strong>des</strong> tâches du psychologue est<br />

précisément de l’aménager, ce qui donne aux travaux de Lahy et d’Imbert une tonalité parfois<br />

proche de l’ergonomie. On voit donc que ce qui apparaissait aux Etats-Unis dans la période<br />

1900-1920 comme un facteur de sélection et d’exclusion <strong>des</strong> moins aptes, dans une<br />

perspective darwiniste et eugéniste, revêt davantage en France le caractère d’un hygiénisme,<br />

d’une « médecine sociale », qui vise à utiliser au mieux les aptitu<strong>des</strong> de chacun : utilisation<br />

dispendieuse <strong>des</strong> forces d’un côté, conservation de l’énergie et optimisation <strong>des</strong> forces<br />

existantes de l’autre 31 .<br />

Ces conceptions divergentes doivent certainement être rapportées au contexte<br />

démographique <strong>des</strong> deux pays durant la période : au moment où naît la psychologie du travail,<br />

les Etats-Unis disposent d’un réservoir inépuisable de main d’œuvre provenant d’une<br />

immigration massive et ininterrompue 32 , alors que la France vit dans la même temps la crainte<br />

d’un déclin démographique inéluctable, qui la pousse à préserver la santé nationale et à tirer le<br />

meilleur parti <strong>des</strong> capacités de chacun. Cette histoire particulière de la psychologie du travail<br />

en France a souvent été oubliée. L’histoire récente, d’inspiration marxiste 33 ou foucaldienne, a<br />

souvent confondu dans une même dénonciation la psychologie du travail et le taylorisme,<br />

alors que les fondateurs de cette discipline en France étaient aux antipo<strong>des</strong> <strong>des</strong> rationalisateurs<br />

tayloriens 34 . Ils étaient animés d’un réel souci de justice sociale et combattaient avec vigueur<br />

le taylorisme, accusé de gaspiller les énergies physiques et sociales du pays, au détriment de<br />

l’équilibre physiologique du travailleur, et plus largement de l’équilibre du corps social dans<br />

son ensemble 35 . Pour ces raisons, la psychologie du travail française ne cherche pas au départ<br />

31 Dans son ouvrage sur l’histoire <strong>des</strong> sciences du travail RABINBACH (1992 [1990], p. 179) relie cette différence<br />

entre la France et les Etats-Unis à <strong>des</strong> conceptions philosophiques : « La loi de conservation de l’énergie fut la<br />

réponse de l’Europe continentale à la vision Darwinienne ou Spencérienne d’une société guidée par les lois<br />

naturelles du conflit et du combat »<br />

32 Les Etats-Unis accueillent dix millions d’immigrants entre 1885 et 1900 et plus de treize millions entre 1900<br />

et 1915.<br />

33 Voir par exemple les travaux de MOUTET (1997), qui situent sur le même plan la psychologie du travail et le<br />

taylorisme.<br />

34 Il faut ici faire exception de Piéron, qui ne se rallia que tardivement à la position de Lahy. En 1913, il écrivait<br />

dans l’Année psychologique : « Bientôt on pourra augmenter le rendement en diminuant la fatigue, par <strong>des</strong><br />

procédés que suggèrent <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> précises, suivant la méthode qu’on peut appeler « tayloriste », du nom de<br />

l’initiateur Taylor qui a obtenu <strong>des</strong> résultats réellement merveilleux » (PIERON, 1913, p. 24).<br />

35 Voir sur ce point l’ouvrage de LAHY (1916).<br />

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