Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

ouvriers en période de difficultés économiques, davantage qu’à servir les intérêts des ouvriers.
L’argument est à peine voilé par le directeur du laboratoire, qui écrit en 1932 :
« Comme par suite de la crise et de la stabilité plus grande du personnel, le nombre
d’embauches a diminué de 45%, nous en avons profité pour faire passer des ateliers
entiers au laboratoire et avons tenu le plus grand compte des constatations
enregistrées soit dans le choix qui a précédé certains licenciements, soit dans
l’emploi de quelques ouvriers à de nouvelles fabrications » 98
tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
Ce risque d’instrumentalisation de la psychotechnique n’échappe pas à certains
représentants syndicaux de la CGT, qui dénoncent en 1933 cette « véritable perquisition du
corps et du cerveau » mise en place « uniquement dans le but de compresser le personnel avec
des excuses médicales ». Les syndicats d’ailleurs se montrent majoritairement hostiles aux
applications de la psychotechnique pendant toute la période de l’entre-deux-guerres, voyant
dans cette nouvelle méthode une menace pour les règles de recrutement et surtout de
promotion interne. L’orientation professionnelle se trouve de ce point de vue dans une
situation nettement plus confortable, puisqu’elle est moins soumise que la psychotechnique
d’entreprise aux fluctuations de la conjoncture économique et n’a pas à décréter si l’individu
est apte ou inapte à occuper un emploi déterminé. Il s’agit seulement pour elle de trouver
l’emploi qui convient le mieux à ses aptitudes, en explorant une gamme très large de
professions.
Malgré les critiques syndicales qui s’accentuent avec la montée du chômage dans les
années 1930, il serait inexact de dire que Lahy s’est entièrement plié aux volontés patronales.
Il parvient à rester fidèle au programme initial de la science du travail en s’attachant
davantage à tirer le meilleur parti des aptitudes de chacun qu’à éliminer les inaptes. Les
chiffres sont d’ailleurs éloquents : en 1935, seuls 1,2% des machinistes en poste examinés par
le laboratoire ont été déclarés inaptes. Il serait donc inexact de dire que le laboratoire
psychotechnique de la STCRP a servi de simple alibi au licenciement d’éléments indésirables,
comme ce fut indéniablement le cas chez Renault.
2. Science pure et science appliquée : un processus de légitimation croisée
On s’est peu interrogé sur la position centrale du laboratoire psychotechnique de la
STCRP dans l’institutionnalisation de la psychologie du travail française, et peut-être encore
davantage dans la construction de l’imaginaire de cette discipline. Il n’est pas un livre, pas un
manuel d’histoire de la psychologie qui ne relate cette expérience fondatrice, aux côtés des
n°2, novembre 1929, p. 3
98 AN 91 AQ 57 (2), « Note sur le fonctionnement et le budget du laboratoire de psychotechnique des usines
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