Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

en laboratoire, Lahy place au premier plan la qualité de l’observation réalisée dans le milieu
de travail lui-même. Il y a certainement là une trace de l’héritage de la formation reçue par
Lahy auprès de Marcel Mauss en 1907. Cet ancrage anthropologique donne à ses descriptions
une grande fraîcheur, ainsi ce passage de l’ouvrage de 1927 consacré à la sélection des
conducteurs de Tramways :
« La sensation de vitesse due à l’impression des déplacements de son corps sur la
voiture, les mouvements relatifs des divers mobiles qu’il aperçoit, l’appréciation des
distances, la discrimination des sons auxquels il doit obéir…, constituent, pour le
machiniste au travail, des repères que son esprit ordonne et utilise plus ou moins
consciemment » (Lahy, 1927, p. 190)
tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
Il y a presque chez Lahy une « phénoménologie » du travail. A la différence des
psychologues ou physiologistes de laboratoire comme Piéron, il pense que l’activité de travail
se situe avant tout dans un rapport immédiat au monde, et ne se réduit pas à une somme de
sensations psychologiques et physiologiques 28 . Aucun test, d’ailleurs, ne « parvient jamais à
reproduire les conditions réelles de la profession » (ibid, p. 15). La tâche du
psychophysiologiste est donc de scruter le plus finement possible les interactions entre le
travailleur et les conditions matérielles et sociales du travail, la construction de tests
n’intervenant que dans un second temps. Certains des tests de sélection mis au point par Lahy,
comme le « test d’attention diffusée », destiné aux conducteurs de tramways, s’attachent
même à reproduire avec la plus grande précision possible les diverses sensations
psychologiques et physiologiques auxquelles est soumis le travailleur : sensations auditives,
visuelles, résistance du volant… Pour ce test, qui se déroule dans un habitacle reproduisant
exactement une cabine de tramway, Lahy a recours à une projection cinématographique où
sont reproduites les conditions réelles de la circulation urbaine. L’orientation que Lahy
souhaite donner à la psychologie du travail se situe donc à l’intersection de la psychologie de
laboratoire et de la physiologie. On sent bien, en amont, une influence de la médecine et plus
précisément de la méthode clinique, qui doit guider les observations du psychologue dans les
milieux de travail.
Il y a là une différence avec les orientations des psychologues du travail américains
au cours de la même période qui situent plutôt la psychologie industrielle au confluent de la
psychologie expérimentale et des méthodes statistiques, la physiologie étant finalement peu
28 Lahy rejoint pleinement le physiologiste Armand IMBERT sur ce point, qui écrivait dès 1907 (pp. 258-259) :
« Dans ce Ministère du travail humain, une place doit être réservée à l’étude de l’homme au travail. Et cette
étude doit être faite dans des conditions plus directement pratiques que celles qui président à des recherches de
laboratoire. C’est sur l’ouvrier lui-même que doivent porter les observations, c’est sur le chantier et à l’usine que
les recherches doivent être poursuivies »
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