Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
Finalement, la genèse de la notion de compétence en France ou de celle de
"professionalism" dans les pays anglo-saxons, dont la sphère d’application s’élargit à des
catégories toujours plus nombreuses de salariés (Evetts, 2003), apparaît comme le produit
d’une alliance improbable entre trois catégories d’acteurs a priori éloignés les uns des autres :
d’une part les franges les plus progressistes de la gauche humaniste, soucieuse de promouvoir
l’épanouissement des salariés au travail (incarnée par Jacques Delors, promoteur de la loi de
1971 ou par sa fille Martine Aubry, de celle de 1991) ; d’autre part, un patronat libéral,
soucieux de responsabiliser et d’autonomiser les salariés afin de faire front aux revendications
collectives émanant des syndicats ; enfin, le monde des sciences humaines, notamment les
psychologues, qui cherchent à promouvoir le droit de chacun à être considéré comme un sujet
libre et autonome, susceptible d’être éclairé dans ses choix par des psychologues tout à la fois
guides, conseillers et confidents.
La psychotechnique, dans la forme qu’elle a prise en France au cours de l’entre deux
guerres, pouvait apparaître elle aussi comme le produit d’une alliance entre la science, le
patronat et les travailleurs. La science républicaine y voyait une source de progrès scientifique
et social, le patronat un facteur de rationalisation du travail susceptible d’améliorer la
productivité, et la gauche humaniste un moyen de préserver la santé des travailleurs et
d’orienter chacun vers la position sociale que lui désignait ses "aptitudes naturelles". Il faut
toutefois relever une différence notable entre la psychotechnique et la tournure prise par
l’actuel discours sur les compétences. L’alliance science-travailleurs-patronat qui était au
principe de la psychotechnique était guidée par le projet utopique d’une société idéale – la
"biocratie" de Laugier ou Toulouse – où l’affectation des individus aux différentes positions
sociales répondait à des critères rationnels et estimés socialement "justes". Elle répondait
également à un souci démocratique d’égalité des chances par la détection des talents et
aptitudes naturelles. Un tel projet était à bien des égards effrayant, dans la mesure où les
orientations individuelles étaient totalement subordonnées à des impératifs de production
fixés au niveau national à travers l’action de l’Etat planificateur, mais elle soulignait
néanmoins le souci de penser le destin individuel dans un cadre collectif. Ce n’est pas par la
seule force de sa motivation ou de son projet que l’individu parvenait à concilier ses
aspirations personnelles avec les impératifs de la collectivité, mais par la médiation des
institutions, au premier desquelles l’école, ou la formation professionnelle des adultes.
Le discours actuel sur les compétences n’est sous-tendu par aucun projet politique
clairement affiché et vise bien plutôt à introduire une métrique des compétences individuelles
calquée sur le modèle économique du marché. L’alliance entre patronat, travailleurs et
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