Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

leurs méthodes de recrutement tout aussi rationnelles que celles qu’il propose. Ils ne voient
pas en quoi un test est un outil de jugement plus efficace qu’un essai professionnel de
quelques jours ou un simple contact d’homme à homme. Maucorps (1948) renvoie cette
difficulté de la psychotechnique à s’institutionnaliser à l’hostilité "naturelle" des chefs
d’entreprise vis-à-vis des nouvelles techniques :
« Nombre de dirigeants d’entreprise, de techniciens, cèdent à cette facile tentation :
pourquoi envisager l’emploi de techniques spéciales à propos de problèmes qui leur
sont familiers ? Leur ancienneté de service, la multiplicité des fonctions qu’ils ont
assurées, la fréquence et la diversité des contacts humains qu’ils ont été amenés à
entretenir ne sont-ils pas les garants les plus sûrs de compétence et de flair ? »
(Maucorps, 1948, p. 6)
tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
Dans le même esprit, Bonnardel (1943) reproche aux évaluations professionnelles
leur « subjectivité », au sens où elles reposeraient sur des relations interpersonnelles inscrites
dans la durée et faisant entrer en jeu des critères soi-disant « irrationnels ». Mais, comme le
souligne Naville dans sa critique de Bonnardel, « ce qu’on appelle ici facteur subjectif n’est
qu’un autre facteur objectif. Nous avons affaire à plusieurs séries de facteurs objectifs qui
entrent en conflit (…) celles-ci ne tournent-elle pas toutes autour de la même préoccupation :
la production ? » 77 . C’est donc bien souvent à des critères tout aussi "objectifs" et
pragmatiques que se réfère le contremaître : le salarié va-t-il permettre d’atteindre les niveaux
de production hebdomadaire ? Ne va-t-il pas dégrader l’ambiance de travail dans l’atelier ?
etc. A côté de l’ensemble complexe de déterminants qui font la productivité d’un travailleur,
le test apparaît comme un instrument d’une prédictibilité bien faible, surtout lorsqu’il s’appuie
sur une échelle de jugement unidimensionnelle, comme la plupart de ceux utilisés par
Bonnardel.
(2) Les graphologues
Les graphologues participent eux aussi de la constellation de professions qui
concurrencent les psychotechniciens au début des années 1950. Pratique d’amateurs et
d’érudits jusqu’aux années 1940, la graphologie devient au lendemain de la guerre une
véritable activité professionnelle organisée au sein d’associations 78 . La principale d’entre elles
est le GGPF (Groupement des Graphologues Professionnels de France) qui voit le jour en
1946 et regroupe les diplômés de la Société Française de Graphologie (SFG). Le
développement de la graphologie immédiatement après 1945 tient aux mêmes raisons que
de la chaire de psychologie du travail au CNAM de 1971 à 1990.
77 NAVILLE (1945, p. 128)
78 Les statistiques d’adhésion au GGCF pour la période 1946-1970 sont présentées sur le graphique II-11, annexe
2.
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