Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

3. Les savoirs monopolisés : les sociologies marxiste et néo-wébérienne
tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
Au fur et à mesure que se développait l’approche interactionniste des occupations, la
critique de la théorie fonctionnaliste s’organisait sur un autre front : celui des sociologies néowébérienne
et néo-marxiste. La sociologie interactionniste avait soulevé la question du
pouvoir professionnel au niveau microsociologique, à partir des tâches effectivement réalisées
par les professions dans leurs contextes de travail. Les sociologies néo-wébérienne et néomarxiste
vont élargir cette question en analysant la position des professions au sein de la
structure sociale dans son ensemble. Le point commun de ces deux approches est de rejeter
l’idée que les professions détiennent un savoir positif susceptible d’améliorer le système
social. Les professions, comme les savoirs qu’elles détiennent sont des phénomènes sociaux
qui ne font que refléter l’état des rapports sociaux. Les auteurs s’inscrivant dans ces deux
courants s’opposent donc en tout point à l’optimisme excessif des fonctionnalistes, qui
voyaient au contraire dans la montée du professionnalisme l’avènement d’une société
nouvelle, dominée par les experts. Les principaux représentants du premier courant (Berlant,
1975 ; Larson, 1977 ; Collins, 1979, 1990) insistent sur le lien entre un savoir expert et
l’établissement par un groupe social de « chasses gardées » (exclusionary shelters) sur un
marché 26 . Les seconds (Johnson, 1972, 1977 ; Boreham, 1983 ; Navarro, 1976) mettent
davantage l’accent sur la position des professions dans la structure de classe et sur les
mécanismes de domination et de répartition du pouvoir au sein de la société.
L’ouvrage de Berlant Profession and Monopoly (1975), est particulièrement
représentatif de l’usage qui est fait de la théorie wébérienne de la monopolisation dans
l’analyse des professions et des dérives auxquelles celle-ci peut conduire lorsqu’elle se limite
à n’être qu’une analyse purement externe des professions. Après un premier chapitre
entièrement consacré à une critique en règle de Parsons, accusé de développer une théorie
normative des professions totalement détachée de la réalité 27 , Berlant cherche à convaincre
son lecteur de la fécondité de la théorie wébérienne de la monopolisation dans l’analyse du
comportement de certains groupes professionnels. Pour Weber (1995, tome 2, pp. 55-58 et pp.
410-416) le processus de monopolisation, ou de « fermeture de marché » (social closure), est
26 BERLANT (1975) fournit certainement l’exemple le plus radical d’application de la théorie wébérienne de la
monopolisation aux phénomènes de professionnalisation. Bien que s’appuyant également sur Weber, l’ouvrage
de LARSON (1977) est une application moins « pure » des intuitions wébériennes puisqu’elle tente de concilier la
thèse de la monopolisation avec l’idée néo-marxiste que les professions sont une émanation historique du
capitalisme.
27 « la théorie de Parsons n’est pas une description de la profession médicale, mais une entreprise plus étroite. Il
s’agit d’une analyse morale qui ne décrit pas les conditions réelles de la profession médicale et son rapport aux
patients, mais qui souhaite plutôt produire un ensemble de règles morales qui entraîneraient certains effets
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