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Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

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tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

Il faut voir dans cette orientation particulière de la psychotechnique française la<br />

marque d’un hygiénisme social qui s’efforce de tirer le meilleur parti <strong>des</strong> aptitu<strong>des</strong> de chacun,<br />

dans une logique davantage inspirée par l’économie <strong>des</strong> ressources du pays que par une<br />

sélection darwinienne. Cette orientation, exigeante scientifiquement (notamment chez Lahy)<br />

laisse à partir <strong>des</strong> années 1930 une prise plus importante aux empiètements d’autres<br />

professions (<strong>ingénieurs</strong> notamment) sur le territoire <strong>des</strong> psychotechniciens. A partir de 1935,<br />

les milieux industriels se détourneront progressivement de la méthode de Lahy pour adopter<br />

celle d’un ingénieur et psychologue suisse, Alfred Carrard (1889-1948), nettement moins<br />

coûteuse en temps et en argent (voir infra). Comme le notait rétrospectivement Raymond<br />

Bonnardel en 1951 à propos de la psychotechnique française de l’entre deux guerres : « Ce<br />

que les industriels souhaitent, lorsqu’on leur soumet <strong>des</strong> idées nouvelles, c’est obtenir de suite<br />

<strong>des</strong> résultats, <strong>des</strong> preuves d’efficacité. De simples projets d’expérimentation ne les satisfont<br />

pas. C’est une <strong>des</strong> raisons pour lesquelles ils ont parfois donné la préférence à d’habiles<br />

thaumaturges peu avares de leurs promesses, plutôt qu’à <strong>des</strong> psychologues qualifiés qui se<br />

montrent généralement très circonspects » 113 .Les applications de la méthode Lahy restent<br />

d’ailleurs très mo<strong>des</strong>tes dans l’entre deux guerres, en raison surtout du coût de la mise en<br />

place <strong>des</strong> laboratoires et du temps requis par les examens individuels 114 . Contrairement à la<br />

méthode adoptée par les psychologues américains (tests de QI), la psychotechnique française<br />

est difficilement industrialisable. Le scientisme parfois outrancier dans lequel elle baigne<br />

suscite également <strong>des</strong> critiques de la part <strong>des</strong> travailleurs et <strong>des</strong> syndicats, alors que celui-ci<br />

était précisément <strong>des</strong>tiné à garantir la neutralité de la méthode. Le passage par le laboratoire<br />

de psychotechnique constitue pour bon nombre de travailleurs une expérience traumatisante.<br />

Ceux-ci ont tantôt le sentiment de servir de « cobayes » à <strong>des</strong> expériences impénétrables,<br />

tantôt manifestent un certain scepticisme face à <strong>des</strong> instruments de mesure qui, selon certains,<br />

tiennent davantage de la « baraque foraine que de la médecine » 115 . On notera le paradoxe qui<br />

consiste pour les syndicats et les travailleurs à dénoncer la rigueur et le scientisme excessifs<br />

de la psychotechnique, alors que dans l’esprit de ses promoteurs ceux-ci sont précisément<br />

<strong>des</strong>tinés à garantir la « neutralité sociale » de la méthode.<br />

De telles réactions montrent aussi les limites d’une psychotechnique généreuse et<br />

humaniste, qui se veut au service <strong>des</strong> travailleurs et qui cherche à construire une société plus<br />

113 BONNARDEL, 1951, p. 490.<br />

114 Le laboratoire de la STCRP, qui comptait un directeur et dix opérateurs psychotechniciens dans les années<br />

1930 faisait environ 10 examens par jour, d’une durée de trois à quatre heures chacun.<br />

115 « Le problème médical dans les chemins de fer. A propos de la psychotechnique », Le Peuple, 15 octobre<br />

1937<br />

191

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