Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
d’application offertes par la psychologie expérimentale semblent pour lui plus limitées :
« L’approche expérimentale est plus indépendante de l’application immédiate, plus rigoureuse
et conduit à des résultats plus généraux ; mais en face des conduites humaines concrètes, elle
offre surtout des possibilités d’explication indirecte et théorique ; l’attaque directe est difficile
et souvent impossible à réaliser. » 66 . Ainsi, bien qu’il prétende mettre sur un pied d’égalité la
psychologie clinique et la psychologie expérimentale, Lagache accorde de fait un privilège à
la clinique, opération de synthèse qui seule peut donner sens à l’action concrète du
psychologue. Le parallèle avec la médecine est frappant : de même que les fondamentalistes
sont totalement subordonnés aux demandes des cliniciens dans les Facultés de médecine, de
même les données issues de la psychologie expérimentale ne sont là que pour mieux "armer"
le clinicien : « (…) il n’est aucun test, aucune batterie de tests qui puisse donner une
connaissance adéquate de la personnalité dans sa multiplicité et son unité ; ce ne sont que des
sondages plus ou moins nombreux, ordonnés et profonds. Dans l’état actuel de nos
connaissances, le problème appartient à la "clinique armée", dont le recours à des tests
judicieusement choisis, maniés, interprétés, accroît la rapidité, la pénétration et multiplie les
systèmes de référence » 67 . Une telle subordination de la science est inévitable dès lors que
Lagache veut faire de la psychologie un art, une pratique d’intervention, et non la simple
application technique de recettes scientifiques 68 . Ce nouveau rôle dévolu aux psychologues
repose sur les convictions théoriques de Lagache, qui – conformément à la vision promue par
la psychanalyse – se représente l’individu en conflit permanent avec les différents milieux
sociaux où il évolue. Le psychologue doit dans cette perspective favoriser une meilleure
adaptation de l’individu à ses cadres sociaux. Si les schémas théoriques et les concepts de la
psychanalyse nourrissent le projet de Lagache, la psychanalyse et la psychologie clinique ne
se confondent pas pour autant. La psychanalyse, contrairement à la psychologie clinique, n’a
pas vocation à pénétrer l’ensemble des institutions sociales ; elle est définie par Lagache
comme une « ultra-clinique », dont « les origines se trouvent dans la médecine et la
psychopathologie » 69 et qui ne peut donc servir à traiter des situations normales.
Le passage de la figure du psychologue expérimentaliste, manipulateur de tests, au
psychologue clinicien, guide et conseiller, trouve un facteur d’accélération dans la
66 Ibid.., p. 52
67 Ibid.., p. 41
68 L’opposition entre cliniciens d’un côté, expérimentalistes et psychotechniciens de l’autre, reproduit, dans un
autre domaine, la relation qu’entretiennent les architectes et les ingénieurs, les premiers se réclamant d’un « art »
au service de l’homme alors que les seconds n’envisageraient que le versant technique des problèmes d’habitat.
Sur les relations entre ingénieurs et architectes, voir FREIDSON (2001, pp. 167-173).
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