27.12.2013 Views

Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006<br />

concurrence entre professions » (op. cit., p. 9). Sur le lieu de travail, c’est principalement<br />

l’efficacité du savoir et son adéquation aux ambitions juridictionnelles qui va déterminer le<br />

succès ou l’échec du groupe. L’une <strong>des</strong> stratégies pour accroître l’efficacité de ce savoir<br />

consiste à développer <strong>des</strong> systèmes de connaissance de plus en plus abstraits. Cette<br />

abstraction peut prendre, selon Abbott deux formes très différentes 71 . Dans un premier cas,<br />

elle s’apparente à de la formalisation. Elle se limite à un sujet précis, mais est formellement<br />

très abstraite. C’est le cas <strong>des</strong> sciences de la nature (physique, biologie). Une telle catégorie<br />

d’abstraction entraîne généralement un lien très fort entre la profession et sa juridiction, la<br />

mettant à l’abri de la concurrence d’autres professions. Mais pour qu’une profession puisse<br />

étendre ses revendications, il ne faut pas que les chaînes d’inférence mises en œuvre soient<br />

trop longues. La profession ne peut pas, par exemple, revendiquer de traiter chaque cas<br />

comme un cas particulier, au risque de voir le lien de juridiction s’affaiblir par l’arrivée de<br />

concurrents proposant <strong>des</strong> solutions plus routinisées. Une seconde catégorie d’abstraction<br />

consiste à généraliser un mode de raisonnement et à l’étendre à phénomènes toujours plus<br />

nombreux. Dans ce cas, la profession cherche à redéfinir la nature d’un problème dans son<br />

propre langage, afin de montrer qu’il tombe sous sa juridiction. C’est par exemple le cas <strong>des</strong><br />

médecins lorsqu’ils revendiquent de traiter les problèmes d’alcoolisme, ou de délinquance<br />

juvénile, au motif qu’il s’agit dans les deux cas de pathologies sociales et que la médecine<br />

traite de la pathologie. Le mandat est potentiellement plus étendu, mais aussi moins solide 72 .<br />

Du côté de l’opinion publique et de l’arène législative, c’est surtout l’alliance entre<br />

une profession et une discipline scientifique prestigieuse qui va consolider les revendications<br />

du groupe (Abbott, 1988, p. 54). Contrairement à ce qui se produit sur le lieu de travail,<br />

l’image de la profession dans ces deux arènes est souvent stéréotypée et très éloignée de la<br />

réalité du travail professionnel (on retrouve ici, sous une autre forme, la distinction <strong>des</strong><br />

interactionnistes entre profane et sacré, voir supra). Par exemple, l’image dominante de la<br />

71 La distinction entre ces deux formes d’abstraction se trouve exprimée en <strong>des</strong> termes très proches de ceux<br />

d’Abbott par HALLIDAY (1987, chap. 2, pp. 28-59), qui distingue <strong>des</strong> « professions scientifique » (au mandat<br />

solide mais limité à <strong>des</strong> questions techniques) et <strong>des</strong> « professions normatives » (au mandat plus large mais<br />

également plus vulnérable). Bien entendu, Halliday (comme Abbott d’ailleurs) développe longuement l’idée que<br />

les frontières entre ces deux formes d’abstraction sont loin d’être étanches : il est peu de problèmes techniques<br />

qui n’aient d’implications morales, et vice-versa. Toutefois, comme le souligne à juste titre Halliday, si cette<br />

différence tend à s’effacer dans les conflits quotidiens sur le lieu de travail, elle joue néanmoins un rôle<br />

important dans les représentations que les professions donnent d’elles-mêmes vis-à-vis du public : sur quoi une<br />

profession fonde-t-elle le cœur de son mandat : une dimension instrumentale ou une dimension morale ?<br />

72 Comme nous le verrons plus loin, une telle distinction se révèle très utile pour confronter la position <strong>des</strong><br />

ergonomes à celle <strong>des</strong> psychologues du travail. En se construisant explicitement en référence au modèle <strong>des</strong><br />

sciences de l’ingénieur, les ergonomes, revendiquent un mandat moins large que celui <strong>des</strong> psychologues du<br />

travail, qui ont progressivement déserté le domaine instrumental (celui <strong>des</strong> tests et de la psychologie<br />

différentielle) pour s’orienter vers <strong>des</strong> dimensions plus normatives.<br />

87

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!