Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
indépendance et l’objectivité de notre travail » 75 . Pour eux, c’est à la fois le moyen de se
protéger de la concurrence des « charlatans » et de garantir l’indépendance des psychologues
dans leurs différents lieux d’exercice (pression des enseignants en milieu scolaire, des
magistrats dans le secteur judiciaire, des directeurs d’entreprise ou des ingénieurs dans le
monde du travail). Au départ, cette préoccupation concerne essentiellement l’usage des tests.
Le succès des tests au lendemain de la guerre et leur application routinière dans le monde
éducatif ou professionnel encouragea en effet leur diffusion auprès de non-spécialistes, d’où
le souci d’en réserver l’usage aux seuls titulaires d’un diplôme de psychologie 76 . Ces
problèmes avaient déjà surgi aux Etats-Unis dès les années 1930, où, selon une enquête
rapportée par Buchanan (1997, p. 172), 63% des utilisateurs de tests dans le monde éducatif
n’avaient pas reçu de formation psychologique particulière, étant pour la plupart enseignants.
Dès le départ, l’idée d’un statut du psychologue est donc non seulement liée à un titre, mais
aussi à un domaine d’activité dont les contours peuvent être tracés de façon précise autour de
la méthode des tests, rendant en cela le psychologue proche des médecins, des expertscomptables
ou des avocats, c’est-à-dire maîtrisant un savoir-faire technique socialement
valorisé.
La conjugaison de facteurs épistémologiques (remise en cause de la primauté de la
méthode des tests et de l’idée de "science appliquée") et sociaux (massification des études de
psychologie, évolution de la demande sociale adressée aux psychologues) va élargir les
préoccupations des associations professionnelles à partir des années 1960-1970 : au lieu de
défendre un domaine technique délimité, les promoteurs de la loi sur le titre vont s’attacher à
protéger un titre générique de "psychologue" sans préjuger de son contenu. Cette option sera
retenue par Didier Anzieu, professeur de psychologie à Nanterre, chargé par le Ministre de
l’Education Edgar Faure de proposer un statut des psychologues en 1968 77 . Dans ses échanges
avec le Ministère, il fait valoir « la difficulté qu’il y a à définir limitativement la profession de
psychologue. La liste des techniques utilisées varie avec le temps, et le métier est caractérisé
non seulement par l’utilisation de certaines techniques mais par un esprit particulier et la
75 DORMEAU et ROCHE (1950, p. 2)
76 Cette routinisation possible dans l’usage des tests concerne d’ailleurs davantage les tests d’intelligence ou
d’aptitude psychophysiologique en usage dans le monde éducatif ou professionnel que les tests projectifs ou de
personnalité tels que le Rorschach ou le MMPI (Minnesota Multiphasic Personality Inventory), davantage
utilisés dans la diagnostic de cas pathologiques et qui, contrairement aux précédents, supposent un travail
interprétatif. Les psychologues du travail ou de l’éducation sont de ce point de vue plus vulnérables aux
empiètements de professions voisines que les psychologues cliniciens.
77 La « commission Anzieu » fut finalement dissoute en 1971, à la suite de l’obtention d’un statut pour les
psychologues hospitaliers, désormais recrutés sur la base de la licence de psychologie. Cet épisode fut
néanmoins perçu comme un échec par les associations professionnelles, qui ne parvinrent pas à imposer l’idée
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