Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

1. Une « crise de la méthode expérimentale » en psychotechnique
a) Une ossification des techniques
En 1954, dans le Traité de psychologie appliquée publié sous la direction de Henri
Piéron, Suzanne Pacaud écrivait :
« …Une question grave pour l’avenir de la psychologie appliquée doit être
envisagée. A quoi est due la défaveur qui paraît frapper actuellement la méthode
expérimentale des tests ? La graphologie, les interviews, les questionnaires
biographiques, les entretiens, les procédés clinico-caractériels, les épreuves de
situations sur le tas, les discussions de groupe, tout paraît préférable à la méthode
expérimentale ». (Pacaud, 1954b, p. 682)
tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
Il est vrai que vers le milieu des années 1950, la psychotechnique (entendue au sens étroit de
sélection professionnelle) ne couvre plus à elle seule tout le domaine de la psychologie du
travail. Les tests font l’objet de critiques de plus en plus vives au sein même de la
communauté professionnelle. Lors du XI ème Congrès International de Psychotechnique
organisé à Paris en 1953, un jeune psychotechnicien de l’équipe de Palmade et Dubost à EDF,
Pierre Goguelin, demande en séance plénière que les psychologues du travail s’ouvrent aux
dimensions psychosociologiques et contribuent à l’intégration du travailleur au sein de
l’entreprise, au lieu de se borner à leur simple sélection sur la base de tests. Pour lui, « le
psychologue sélectionneur au sens strict du terme, lorsqu’il n’utilise que des tests préétablis,
constitue un aspect périmé de la psychologie industrielle » 3 . Le nouveau rôle qu’il doit
endosser est celui de « conseiller des chefs d’entreprises », en s’ouvrant aux nouvelles
méthodes développées aux Etats-Unis dès les années 1930 par Kurt Lewin : « role playing »,
« psychosociologie des groupes restreints », « Training-Group » etc. Le problème n’est donc
plus de sélectionner le bon travailleur, comme on choisirait un matériau pour réaliser un
produit, mais de contribuer à sa meilleure intégration possible dans la communauté de
l’entreprise : il n’est pas seulement une machine à produire, il a aussi un « cœur ». Le recours
à ces technologies sociales place le psychologue dans une situation radicalement nouvelle,
comme le souligne Pacaud (1953), dans sa virulente réponse à Goguelin. Il était jusque là
resté retranché dans une pure situation d’expertise, se bornant à formuler un diagnostic, assez
semblable en cela au médecin : « A l’instar du diagnostic médical, le diagnostic
psychologique doit s’appuyer, chaque fois que c’est possible, sur les analyses du laboratoire.
Comme le médecin clinicien coordonne les résultats bruts et disparates des analyses
3 Voir « Compte-rendu du XIème Congrès International de Psychotechnique », Bulletin de psychologie, 1953-
1954, pp. 190-201
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