Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

« Nous, psychologues de l’avenir…, nous considérons
presque comme un signe de dégénérescence l’instrument
qui veut se connaître lui-même, nous sommes les
instruments de la connaissance et nous voudrions avoir
toute la naïveté et la précision d’un instrument, donc nous
ne devons pas nous analyser nous mêmes, nous connaître » 1
Nietzsche, La volonté de puissance, livre III, § 335
tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
Les psychologues sont partout, dit-on. A l’école, dans les tribunaux, dans les
entreprises, dans les services sociaux, dans le monde associatif. Partout, ils véhiculent leurs
outils et leurs méthodes : ils observent, évaluent, font passer des tests, classent les individus.
L’investigation psychologique permettrait de mettre au grand jour les secrets les plus intimes
de chacun, faisant des individus des sujets calculables, dont le comportement, les aspirations
et les envies deviendraient entièrement prévisibles. Leur pouvoir de normalisation et de
catégorisation a souvent été dénoncé : les tests d’aptitude, d’intelligence ou de personnalité
feraient violence à la complexité de l’âme humaine ; ils porteraient atteinte à la liberté
individuelle. La littérature a longtemps évoqué cette crainte d’une société entièrement
gouvernée par les psychologues. Ainsi, Musil, que sa formation de psychologue
expérimentaliste avait rendu particulièrement sensible au rôle social de la jeune discipline
s’interroge dans L’homme sans qualités : « peut-on se figurer que l’homme aura encore une
âme, quand la biologie et la psychologie auront appris à le comprendre, à le traiter dans son
entier ? » 2 . La presse syndicale ou de gauche des années 1950 dénonçait elle aussi l’emprise
grandissante de ces « ingénieurs des âmes » 3 capables de scruter au moyen de tests les
moindres recoins de l’âme humaine et devenus des symboles de l’opression capitaliste. La
1 Cité in CANGUILHEM (1994 [1957], p. 377)
2 MUSIL (1969 [1933], p. 327)
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