Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
peu de poids face à la psychotechnique (une cinquantaine de praticiens à peine face à
quelques 500 psychotechniciens à la fin des années 1960) 15 et elle pénètre très lentement dans
les entreprises. Même dans une entreprise comme Renault qui dispose d’un service
d’ergonomie dès le milieu des années 1950 (créé par Alain Wisner en 1954), l’ergonomie ne
parvient pas à pénétrer dans les ateliers et se cantonne à la conception des voitures. C’est
d’ailleurs en raison de l’impossibilité d’intervenir sur les conditions de travail elles-mêmes
que, selon son témoignage rétrospectif, Wisner quitte la Régie Renault en 1962 pour rejoindre
le CNAM 16 . Les applications de l’ergonomie se multiplieront dans les années 1970 avec le
mouvement d’analyse des conditions de travail et la création de l’ANACT –Agence nationale
pour l’Amélioration des Conditions de Travail. Mais malgré ces avancées, l’ergonomie ne
concurrencera jamais de façon très sérieuse la psychologie du travail, d’une part parce que la
demande des entreprises est davantage axée sur la sélection (« trouver le bon ouvrier ») que
sur l’amélioration des conditions de travail, d’autre part parce que les ergonomes restent
tournés vers un modèle de recherche-action qui interdit toute pratique routinière d’un savoir
préconstitué tel que la méthode des tests. Elle exercera en revanche, à partir des années 1980,
une certaine influence sur la psychologie du travail en contribuant au développement d’une
sous-branche de la discipline : la psychologie ergonomique, dont l’objet est d’adapter les
outils et les milieux de travail à la spécificité des activités et des travailleurs. Les praticiens de
cette branche se classent toutefois plus souvent dans la catégorie des ergonomes que celle des
psychologues, et les cursus universitaires qui mènent à ces deux professions restent séparés en
France, comme d’ailleurs dans la plupart des autres pays 17 . Les migrations successives de la
physiologie du travail puis de l’ergonomie au CNAM illustrent particulièrement bien cette
séparation progressive de l’ergonomie et de la psychologie du travail (voir annexe 7). La
chaire de « physiologie du travail et orientation professionnelle », initialement créée au
CNAM par Laugier en 1928 couvre à la fois la psychotechnique (méthode des tests) et les
dimensions physiologiques du travail. Ces deux aspects sont d’ailleurs inséparables pour
Laugier comme pour ses confrères (Piéron, Lahy…). Au lendemain de la guerre, la chaire de
ses premiers ouvrages : La psychologie, science du comportement (1942).
15 MONTMOLLIN (1972) pour les ergonomes et Arch. Pierre Goguelin pour les psychologues du travail.
L’ergonomie tend toutefois à rattraper aujourd’hui la psychologie du travail : entre 1995 et 2002, il y avait un
étudiant formé en DESS d’ergonomie pour 4 étudiants formés en DESS de psychologie du travail (source :
MEN-DEP).
16 WISNER, 1999 [1996], p. 145
17 En France, la plupart des universités proposent parallèlement des DESS « d’ergonomie cognitive » et des
DESS de « psychologie du travail » dont les recrutements diffèrent sensiblement. Aux Etats-Unis, les
professions de « psychologue du travail » et de « psychologue ergonome » sont elles aussi nettement distinctes et
relèvent d’une catégorie différente dans les statistiques de l’APA.
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