Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

leur responsabilité sociale, leur idéologie personnelle de leur rôle professionnel dans
leurs rapports avec leurs clients, leurs publics et leurs pairs. Il est clair que c’est là le
résultat le plus accompli de l’application du concept de professionnalisation à la
sociologie » (Janowitz, 1972)
tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
Là encore, il faut insister sur tout ce qui sépare la France des Etats-Unis. En France,
la sociologie des professions est venue se « greffer » sur une tradition de sociologie du travail
à deux moments de l’histoire de cette discipline (Gadéa, 2003, pp. 199-216) 42 . Cette greffe
s’est inscrite chaque fois dans un contexte de crise de la discipline : crise d’une confrontation
à de nouveaux objets, que les cadres d’analyse existants permettent difficilement de saisir,
lorsque les sociologues du travail ont commencé à s’intéresser à la question des « cadres »
dans les années 1960 ; crise des paradigmes explicatifs de la discipline elle-même face au
déclin des explications marxistes en terme d’appartenance de classe dans les années 1980-
1990. Lorsque les concepts de « profession » et de « professionnalisation » sont introduits en
France dans les années 1960, via la sociologie industrielle nord-américaine 43 , les sociologues
français manifestent un certain désarroi face à cet objet théorique mal identifié. La plupart des
sociologues le traduisent dans des termes qui reflètent parfaitement les préoccupations de la
sociologie du travail du moment. Pierre Naville, par exemple, dans un texte sur « les
tendances à la professionnalisation » du Traité de sociologie du travail (1964 [1961], pp. 237-
240), interprète la notion dans la seule perspective du salariat. Pour lui, la
« professionnalisation » désigne « l’accès du salarié à un statut déterminé de manière précise,
étendu au plus grand nombre d’aspects possibles de la vie de travail et garanti avec plus ou
moins de force par la loi, les conventions collectives et les contrats d’entreprise » (art. cit., p.
237). Cette évolution s’inscrit donc dans un mouvement historique de salarisation et de
sécurisation du rapport de travail, exprimé par la dissociation croissante entre le travail direct
et les avantages associés à l’exercice de ce travail (salaires, statut, retraites, avantages sociaux,
possibilité de « faire carrière »…) 44 . En réalité, Naville joue sur l’ambiguïté du terme de
"profession" : tout en faisant référence aux travaux anglo-saxons, il s’en tient ici à une
variante du terme français où la « profession », lorsqu’elle est synonyme d’industrie ou de
42 Il faut ajouter que la sociologie des professions s’est développée au sein d’autres traditions de la sociologie
française ou francophone, sans toujours ouvrir d’échanges avec la sociologie du travail : la sociologie de l’art
(MOULIN, 1967 ; MENGER, 1983 ; CHAMPY, 1998), la sociologie de la médecine (HERZLICH, 1969 ; ARLIAUD,
1987), la sociologie du droit (KARPIK, 1995), la sociologie des religions (WILLAIME, 1986).
43 Dans cette perspective, il est intéressant de noter que l’article de sociologie des professions le plus souvent cité
par les sociologues du travail français dans les années 1950 est l’article de Nelson FOOTE (1953) sur la
« professionnalisation » des ouvriers de l’automobile à Détroit, qui est finalement très peu représentatif de la
tradition américaine de sociologie des professions de cette période.
44 « Le salaire global est de moins en moins la rémunération d’un travail direct, résultant de l’exercice d’un
métier proprement dit. Il devient à la fois le prix d’une tâche et le coût d’un statut garanti par la collectivité. Il est
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