Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
La profession de psychologue s’est elle aussi considérablement subdivisée depuis sa
naissance, en lien avec l’apparition de nouveaux domaines de recherche : psychologie de
l’enfant, psychopathologie, psychologie différentielle, et plus récemment : psychologie
cognitive, psychologie ergonomique, psycho-gérontologie ou encore psychologie de
l’environnement... Le phénomène de remplacement des anciens savoirs par des nouveaux a
des effets plus ambigus sur les professions. L’histoire des sciences montre généralement que
les changements dans les sciences se font de manière brutale, et non incrémentale (Kuhn,
1962) : la communauté scientifique a tendance à s’organiser autour d’un paradigme dominant
(voir supra) et à l’approfondir, jusqu’à ce qu’une théorie radicalement nouvelle voie le jour.
Kuhn qualifie ces périodes de régime de science « normale », par opposition aux « révolutions
scientifiques », qui voient se mettre en place un nouveau paradigme. En période de science
normale, le volume de connaissance s’accroît, mais les convictions partagées par la
communauté scientifique restent identiques. Abbott (op. cit., p. 179) soutient qu’à l’inverse du
savoir scientifique, le savoir professionnel évolue de manière incrémentale :
« Dans les professions, où la connaissance est appliquée de manière active, les
changements mineurs et incrémentaux semblent plus fréquents que les changements
de paradigmes. La loi et les règlements changent souvent ; mais pas la jurisprudence
ni la comptabilité. L’information sur les médicaments et les autres traitements
médicaux changent chaque semaine ; mais pas l’approche générale des soins
médicaux ».
Ainsi les deux sphères (scientifique et professionnelle) ne suivent pas la même
temporalité : les connaissances des praticiens, acquises en période de formation initiale, ont
tendance à se cristalliser au fil des carrières et à s’éloigner de plus en plus des connaissances
qui sont au goût du jour. A l’opposé, les connaissances scientifiques apparaissent nettement
moins rigides. L’exemple de la médecine française, tel qu’il a été décrit par Jamous et
Peloille, ou par Léonard (1981), pourrait être appelé en renfort de cette thèse. Il a fallu
plusieurs dizaines d’années pour que la structure et l’organisation de la profession médicale
intègre le passage d’une médecine clinique à une médecine expérimentale et que cela affecte
l’activité quotidienne et les carrières des médecins. Selon Abbott, l’un des moyens grâce
auxquels une profession peut se prémunir contre un rythme de changements des
connaissances trop rapide consiste à développer un degré élevé l’abstraction : celle-ci permet
en effet aux membres de la profession de disposer d’un socle de connaissances suffisamment
large pour absorber et interpréter les nouvelles connaissances produites. Ainsi l’abstraction,
au sens précisé plus haut (prétention à appliquer des savoir-faire à une classe de phénomènes
de plus en plus large) est une manière d’échapper à la dévalorisation des techniques
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