Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
1905, puis par le Ministère du Travail. Ces premiers travaux 21 s’inscrivent au départ dans une
veine strictement physiologique et étudient le travail humain sous ses seuls aspects
musculaires. Ainsi, les recherches de Lahy sur les commis des postes et sur la fatigue
musculaire (1905), d’Armand Imbert sur les coupeurs de sarments de vigne (1911) les
travailleurs à la lime ou les portefaix (1905) et de Henri Laugier et Charles Richet sur les
« variations du temps de réaction dans le travail professionnel » (1913) visent principalement
à détecter les signes objectifs de la fatigue musculaire dans différentes professions, et
conduisent à des propositions d’aménagements d’outillages, dans un esprit assez proche de ce
que fera l’ergonomie quelques décennies plus tard. Ce regard physiologique sur le travail
constituera longtemps une originalité de la France vis-à-vis des Etats-Unis, en raison très
certainement de la formation médicale 22 des premières personnes qui s’intéressèrent à ces
questions. Il n’y avait donc pas de véritable place pour une étude proprement
« psychologique » du travail, à l’heure ou Charcot écrivait : « ce que j’appelle la psychologie,
c’est la physiologie rationnelle de l’écorce cérébrale » 23 .
Parmi tous les protagonistes que nous venons d’évoquer, seul Lahy n’était pas
médecin 24 . Il n’est d’ailleurs pas indifférent de noter que l’introduction progressive d’une
perspective psychologique dans l’étude du travail se fera par son intermédiaire, à partir de
1910. Arrêtons nous quelques instants sur ce personnage, qui est une figure centrale de notre
histoire puisqu’il fait le lien entre l’ancienne science du travail, encore placée sous la houlette
de la médecine, et la psychologie du travail telle qu’elle s’épanouira dans l’entre-deux
guerres. L’œuvre et la vie de Lahy restent mal connues. La restitution à la France de ses
archives personnelles en 2001, saisies par les soviétiques en 1945, devrait permettre à terme
de mener un travail plus approfondi sur ce personnage qui a exercé une influence considérable
sur la psychotechnique et la sociologie du travail de l’après guerre 25 . Lahy peut être considéré
21 Sur la filiation des travaux de Marey et Chauveau, voir l’arbre généalogique figurant en annexe II-1.
22 Médicale et par conséquent physiologique, puisque la physiologie n’était alors enseignée que dans les facultés
de médecine. Cette particularité française fut longtemps un frein à la diffusion de la physiologie du travail en
dehors de la sphère d’influence de la médecine. On en trouve un exemple frappant en 1913, lorsque le
Conservatoire des Arts et Métiers prit la décision de créer un « laboratoire de recherches sur le travail musculaire
et professionnel » pour le physiologiste du travail Jules Amar. La direction du CNAM refusa de faire figurer le
terme de « physiologie » dans l’intitulé du laboratoire et suggéra d’orienter les recherches vers l’hygiène
industrielle plutôt que la physiologie du travail proprement dite, car cette discipline « ne rentre pas dans
l’enseignement du Conservatoire, mais appartient plutôt à l’enseignement de la faculté de médecine » (Arch.
CNAM, Conseil de perfectionnement du 13 décembre 1916)
23 Cité par TURBIAUX (1982, p. 970)
24 Pour la vie et la carrière des différents personnages mentionnés dans ce chapitre et le suivant, voir les notices
biographiques figurant à l’annexe 9.
25 Ces archives n’ayant été rendues disponibles qu’à un stade déjà avancé de notre travail, nous n’avons pu en
exploiter qu’une petite partie, correspondant essentiellement à la période des années 1930.
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