Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
industrielle où il exerce des fonctions de ressources humaines, que dans un cabinet de
recrutement ou que dans le secteur de l’insertion ou du travail social. Les conséquences du
contenu d’un savoir diffèrent donc d’un espace à l’autre. Mais une fois ces différences
constatées, comment les expliquer ? Freidson (2001, pp. 161-167) dresse une liste de critères
qui devraient être systématiquement examinés dans l’analyse des liens entre les savoirs et leur
mise en œuvre pratique. Ceux-ci constituent l’ensemble des médiations qui séparent les
savoirs de leur application. Le premier critère est celui de la reconnaissance officielle de la
discipline : est-elle jugée d’une importance vitale pour la société, parce qu’elle traite de
questions ultimes et conditionne sa survie (médecine, droit, religion) ? Est-elle jugée
simplement nécessaire parce qu’elle rend des services utiles à la société (travail social,
enseignement) ou dépend-elle entièrement du bon vouloir des élites de la société pour sa
survie (arts et humanités…) ? Le second critère concerne les formes de division du travail
associées aux différentes disciplines. Certaines professions, par la nature du savoir qu’elles
mettent en œuvre, sont solitaires, et ne supposent pas des formes de division du travail très
développées (magistrats, avocats, universitaires). D’autres, à l’inverse, comme la médecine,
l’ingénierie ou l’architecture dépendent plus souvent d’un réseau complexe de coopérations
entre différentes spécialités ou différentes professions et s’inscrivent dans des divisions du
travail plus poussées 80 . Le troisième critère, qui dérive du précédent est celui des ressources
socio-économiques requises dans l’exercice de la profession. Très peu de professions
s’exercent aujourd’hui dans un vide socio-économique, pas même celle d’artiste, qui s’efforce
pourtant d’entretenir l’image du travailleur libre et dégagé des contraintes économiques
(Menger, 2002). Un enseignant a également besoin d’infrastructures nombreuses pour être
mis au contact de ses élèves (bâtiments, manuels scolaires, personnels administratifs…) ; les
architectes et les ingénieurs dépendent souvent de structures capitalistiques qui seules
disposent des fonds nécessaires à la réalisation de leurs projets. De même, un médecin a
aujourd’hui besoin d’appareils médicaux autrement plus complexes qu’un stéthoscope ou un
simple scalpel. Ces dimensions socio-économiques ont des implications directes sur
l’organisation des marchés du travail professionnels dans la mesure où la position au sein de
ceux-ci dépend de l’accès différencié à ces ressources économiques rares qui soutiennent
l’existence de la profession 81 . Enfin, la formation des professionnels eux-mêmes repose sur un
80 « Le caractère épistémologique des disciplines pèse sur le degré de division du travail dans la mesure où
lorsqu’elles sont empiriques ou techniques plutôt que normatives, il est probable qu’apparaisse une organisation
complexe, composée de nombreuses spécialités et sous-spécialités » (FREIDSON, 2001, p 164)
81 Voir sur ce point les travaux de CHAMPY (1998) sur la segmentation de la profession d’architecte en fonction
de l’accès différencié à cette ressource socio-économique rare qu’est la commande publique.
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