Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
des entreprises, qui leur donne en général la possibilité de passer d’un poste de spécialiste à
un poste de généraliste, offrant un meilleur statut et de plus grandes garanties de carrière 63 . La
fragilité de la base théorique de la profession expliquerait toutefois, dans une perspective
fonctionnaliste, que la profession en elle-même ne soit pas parvenue à se professionnaliser
complètement, même si les ingénieurs parviennent individuellement à des postes de pouvoir
au sein des entreprises. On regrettera que Toren ne s’intéresse pas aux professions favorites
de la sociologie fonctionnaliste : les médecins et les juristes. Mais l’inscription de l’auteur
dans une perspective étroitement fonctionnaliste lui interdit certainement de voir les
mouvements de déprofessionnalisation qui peuvent être à l’œuvre dans ces deux « piliers » du
modèle fonctionnaliste. On pourrait pourtant s’interroger sur la manière dont les
transformations du savoir juridique ou médical affectent ces deux professions. Les juristes,
comme les comptables, doivent se tenir informés de l’évolution d’un corpus juridique en
accroissement permanent. Le savoir des médecins, comme celui des ingénieurs, peut lui aussi
se révéler rapidement obsolète, compte tenu des progrès rapides de la recherche bio-médicale,
réalisée non par des médecins mais par des biologistes, des physiologistes ou des spécialistes
d’autres disciplines. Par ailleurs, l’apparition sur le marché d’appareillages médicaux d’une
complexité croissante ôte aux médecins une partie de leur pouvoir : ils sont de plus en plus
fonctionnellement dépendants de techniciens ou de spécialistes d’autres disciplines (Freidson,
2001, pp. 191-192) 64 .
L’analyse de Toren présente une autre limite du point de vue de notre propre
recherche : les mouvements auxquels elle s’intéresse sont d’une ampleur limitée : il s’agit de
simples transformations d’ordre technique, qui ne sont pas à proprement parler des
changements de « paradigme » au sein d’une discipline. Les transformations mises en
évidence par Toren (informatisation et accélération du rythme de production des
connaissances) ne sont d’ailleurs pas absentes de l’univers de la psychologie du travail :
l’informatique a contribué à mécaniser la passation d’un grand nombre de tests
psychotechniques, autrefois monopole quasi exclusif des psychologues du travail. Elle a
permis à des non psychologues d’utiliser eux aussi ces logiciels de passation de tests,
63 Selon ABBOTT (1988, p. 180), plus de 50% des ingénieurs occupent des positions généralistes au sein des
entreprises, totalement détachées de la production.
64 Cette évolution est sensible au sein même des facultés de médecine : « Alors que pendant l’Age d’Or [de la
profession médicale] les facultés de médecine étaient dominées par des médecins, entourés de quelques docteurs
en science qui assuraient les enseignements de science fondamentale dans les premières années de formation,
aujourd’hui, une part de plus en plus importante des enseignants n’ont pas de diplôme en médecine (…) Il y a
par conséquent un affaiblissement de la domination des médecins au sein de leurs propres écoles » (FREIDSON,
2001, p. 191)
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