Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
de la revue s’en prennent au mode d’intervention des psychotechniciens en entreprise, qui
« se bornent à l’observation des faits de surface » au détriment de la « diversité des individus
et des situations de travail » (Lucius-Bora, 1950, p. 76). La psychanalyse est donc appelée au
secours de la psychotechnique 81 , notamment dans l’étude des accidents du travail qui peuvent
être analysés dans bien des cas comme des « lapsus de conscience » ou des « amnésies
partielles » (ibid, p. 80), y compris chez les individus les mieux doués et en pleine possession
de leurs capacités professionnelles. La psychanalyse s’avère également utile dans la sélection
professionnelle et devrait conduire à « faire une classification des métiers d’après les
satisfactions qu’ils peuvent offrir à des complexes revendicateurs, captatifs, ou même au
complexe d’infériorité. Il serait facile alors de se rendre compte que certains gestes
professionnels prennent pour l’inconscient une valeur symbolique très importante ».
(Danferre, 1946, p.100). On retrouve ici le mécanisme freudien de la sublimation, qui serait
au principe des choix professionnels.
La querelle avec la psychologie universitaire s’envenime au début des années 1950, à
tel point qu’un procès est intenté par la revue Psyché à la suite d’un article jugé diffamatoire
paru dans les colonnes du Bulletin de psychologie 82 en mars 1949. L’article, rédigé par un
collectif d’étudiants de licence de psychologie, reprochait à Psyché ses « publications pseudoscientifiques,
créant une confusion fâcheuse entre les sciences psychologiques et les
opérations frauduleuses ». Il critiquait également l’orientation trop exclusivement
commerciale de la revue et ses activités de "charlatanisme". Si l’issue de cette affaire consacre
la victoire des étudiants en psychologie de la Sorbonne, grâce aux nombreux appuis de leurs
professeurs 83 , elle révèle néanmoins les limites du savoir psychotechnique officiel au début
des années 1950. D’une part, les frontières ne sont pas aisées à tracer entre les « charlatans »
et les « vrais psychologues » : il y a, au sein même de la communauté universitaire, une
scission entre ceux qui se réclament du modèle des sciences de la nature et ceux qui veulent
faire avant tout de la psychologie une science humaine. Le comité de rédaction de Psyché
ouvre d’ailleurs ses colonnes à des membres de l’Université partisans d’une psychologie plus
clinique : Daniel Lagache, J. Favez-Boutonnier... Psyché accueille aussi les premiers articles
81 Cf. cet article au titre évocateur, paru dans Psyché en 1950 sous la plume de Lucius-Bora : « La psychanalyse,
complément indispensable à la psychotechnique »
82 Le Bulletin de psychologie, créé en 1948 par le Groupe d’étudiants en psychologie de l’Université de Paris
(GEPUP) est rapidement devenu une revue de premier plan de la psychologie française. Au départ, il visait
exclusivement à publier les cours des professeurs de la Sorbonne, puis il se dirigea vers la publication d’articles
scientifiques à partir des années 1960.
83 Le GEPUP sera soutenu par Henri Wallon et Paul Fraisse, qui acceptent de témoigner. Piéron, Zazzo et
Lagache envoient des lettres de soutien. Face à ces nombreux appuis, la direction de Psyché retire finalement sa
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