Les' ingénieurs des âmes'. Savoirs académiques ...

tel-00096116, version 1 - 19 Sep 2006
s’appuient pas nécessairement sur un savoir rationalisé ou de type scientifique. Tout type de
savoir (celui du concierge comme celui du médecin) est susceptible de donner naissance à une
profession puisque quelle que soit l’activité considérée, une frontière peut toujours être tracée
entre le monde des profanes et celui de la communauté professionnelle 23 . Les mécanismes de
transmission et de mise en œuvre des savoirs ne diffèrent pas en nature selon que le
sociologue s’intéresse à des professions prestigieuses ou à des métiers modestes.
L’intériorisation des codes de conduite propres à un milieu professionnel est
également décrite par Becker (1988) dans ses recherches sur les professions artistiques. A la
suite de Lewis (1969), Becker emprunte la notion de « convention » pour décrire l’ensemble
des connaissances partagées par une communauté artistique à un moment donné. Dans leur
activité, les professionnels s’appuient sur un certain nombre de conventions, qui doivent être
lisibles à la fois par les pairs et par le public. La maîtrise de ces conventions n’atteint toutefois
pas le même degré de raffinement chez les professionnels et chez le public (même averti) :
« Les connaissances du public initié n’englobent pas la totalité du savoir des
professionnels du monde de l’art. Il n’en sait pas plus que nécessaire pour jouer son
rôle dans l’activité coopérative, c’est-à-dire pour comprendre, apprécier et soutenir
les activités de ceux qui ont qualité d’artistes dans le monde considéré » (1988,
p. 72)
Cette perception légèrement différente des conventions des mondes de l’art chez les
professionnels et le public peut parfois conduire à des conflits entre les deux mondes, comme
l’a montré Becker (1985) dans ses premiers travaux sur les musiciens de jazz. Des conflits
peuvent également traverser le monde de l’art lui-même, et segmenter la profession en deux
groupes : les uns cherchant avant tout à plaire au public, parfois au détriment des canons de la
beauté qui sont reconnus dans le monde de l’art, les autres cherchant plutôt à rendre hommage
à leur art et se souciant peu de l’avis des profanes. Ce raisonnement peut également se révéler
fécond pour l’analyse des groupes professionnels se partageant entre « praticiens » et
« savants » : alors que les savants peuvent se livrer librement à leur science et exceller du
point de vue des conventions du monde professionnel, les praticiens sont toujours soupçonnés
d’une compromission avec les conventions du monde profane.
On peut s’interroger sur l’origine de ces conventions. Si elles ne constituent pas un
stock de savoirs codifiés et rationalisés, transmis par l’université comme le postulait
l’approche fonctionnaliste, d’où proviennent-elles ? Becker (1988 [1982]) soutient qu’elles
interactionniste touche l’une de ses limites les plus évidentes. N’y a-t-il pas des étudiants qui sont "plus
profanes" que d’autres et qui dès lors n’ont pas la même capacité à s’orienter et à réaliser des choix de carrière ?
23 Comme les médecins ou les prêtres, les concierges eux-mêmes détiennent des « savoirs coupables » dans la
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