les deux jeunes filles lettrées - Chine ancienne

Les deux jeunes filles lettrées
— Si j’entre bien dans votre pensée, dit le jeune homme,
j’imagine que vous voulez boire avec nous.
— Moi, dit P’ing-jou-heng, je me flatte d’être un homme de
talent ; mais jusqu’à présent je n’avais jamais rencontré un
homme d’un talent extraordinaire. Ayant vu aujourd’hui que les
vers composés par mon frère aîné étaient d’une beauté
admirable, je désirerais avoir avec lui un moment d’entrevue
pour déployer les pensées que je recèle dans mon sein. Serait-il
permis de dire que c’est pour une tasse de vin ?
— A vous entendre, dit le jeune homme en riant, j’imagine que
vous savez faire quelques lignes de méchants vers. Pour moi, si
je compose des vers ici, je ne ressemble pas à ces lettrés retirés,
à ces faiseurs de romances qui, pour obtenir une vaine
réputation, suivent servilement les exemples du passé. Il me faut
pour rivaux des hommes doués d’un vrai talent et d’un savoir
solide comme Tsao-tseu-kiên 334 , qui composa des vers après
avoir fait sept pas, comme Li-tsing-liên 335 qui, étant à p.317
moitié ivre, composa la chanson de la paix. Je leur permets alors
d’entrer dans l’arène et de composer avec moi. A vous voir,
quoique vous soyez fort jeune, je pense que vous êtes issu d’une
famille pauvre et obscure, et que quand vous sauriez manier le
pinceau, vous ne devez être qu’un Kiao-hân ou un Tao-Séou 336 .
— Monsieur mon frère aîné, dit P’ing-jou-heng en riant, si vous
me regardez comme un homme pauvre et obscur, n’aurais-je pas
le droit, à mon tour, de vous comparer aux hommes riches et
nobles 337 ? Mais ces propos ne mènent à rien. Veuillez me
donner un sujet, et alors mon mérite ou ma médiocrité
éclateront sur-le-champ.
— Si vous êtes si brave pour faire des vers, dit Yên-pé-hân,
croyez-vous que je serai moins brave pour vous mettre à
l’épreuve ? Seulement, comme nous nous rencontrons pour la
première fois, nous ignorons réciproquement notre force.
Lorsqu’on fait des vers ensemble, il faut absolument qu’il y ait
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