les deux jeunes filles lettrées - Chine ancienne

Les deux jeunes filles lettrées
— Je n’ai pas besoin, ajouta-t-il, d’entrer dans de longs détails ;
regardez seulement ces vers, vous saurez tout.
P’ing-jou-heng les prit, et y ayant jeté un coup d’œil :
— p.460 Monsieur, lui dit-il en riant, ne me trompez pas ; ce sont
des vers que vous avez faits vous-même.
— Monsieur, repartit Yên-pé-hân, vous ne savez que composer
des vers ; mais vous ne savez pas juger les vers des autres.
Regardez un peu ces vers : les sentiments qu’ils expriment sont
pleins de mélancolie. S’ils n’émanaient pas d’un esprit intelligent,
qui aurait pu leur donner ce tour triste et mystérieux ? S’ils
n’étaient pas tombés du pinceau d’une jeune fille, qui aurait pu y
répandre cette grâce et ce parfum ? Si vous supposiez que j’en
suis l’auteur, ce serait commettre une erreur immense.
— Je ne puis me décider à le croire, dit P’ing-jou-heng. Direz-
vous que, parmi les belles femmes, il vient de surgir encore un
talent supérieur ?
— Si vous vous refusez à le croire, dit Yên-pé-hân, demain matin
j’irai avec vous voir ces vers, qui sont encore écrits ouvertement
sur un mur.
— En ce cas, dit P’ing-jou-heng, si elle les a ouvertement écrits
sur le mur, en se conformant à vos rimes, comment n’a-t-elle
pas craint que les hommes ne les vissent et ne l’accablassent de
railleries ?
— Cette jeune beauté, dit Yên-pé-hân, a fait preuve d’une
merveilleuse sagacité qui peut-être efface la vôtre. La crainte
dont vous parlez, cette jeune beauté l’a eue la première. En
effet, elle a fait effacer mes vers, et s’est contentée d’écrire au-
dessus ceux qu’elle avait composés sur mes rimes. Elle pensait
bien qu’après les avoir vus, je comprendrais de suite que
c’étaient des vers composés par elle sur les rimes des miens ;
mais que si quelque p.461 autre les apercevait, il lui serait
impossible d’en saisir le sens.
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