les deux jeunes filles lettrées - Chine ancienne

Les deux jeunes filles lettrées
— Je ne sais, répondit Chân-taï, pourquoi il n’a mis p.465 au bas
aucune inscription ; de sorte que j’ignore tout à fait son nom de
famille et son petit nom.
— Puisque vous êtes revenue, dit Ling-kiang-sioué, sans savoir
son nom de famille ni son petit nom, je trouve que c’est là une
rencontre manquée.
— C’est ainsi mon avis, repartit Chân-taï ; c’est pourquoi j’ai
composé une pièce de vers sur les mêmes rimes, et je les ai
écrits aussi sur le mur, afin de lui donner de mes nouvelles ;
seulement j’ignore si ce jeune homme a ou non un cœur aimant,
et s’il reviendra encore pour me voir.
— Tout homme de talent, dit Ling-kiang-sioué, a certainement un
cœur aimant ; serait-il possible qu’il ne revînt pas s’informer de
vous ? Seulement, mademoiselle, vous demeurez dans la partie
la plus reculée de l’hôtel d’un ministre ; quand il viendrait
s’informer de vous, cela ne lui servirait de rien.
— J’avais la même idée, dit Chân-taï. Ce n’est pas qu’on ne
puisse trouver, dans l’empire, des hommes de talent, mais
l’élévation de mon rang est un malheur pour moi ! Un lettré
pauvre, possédât-il le talent le plus distingué, oserait-il venir
demander ma main ? D’un autre côté, mon père, qui est un
ministre d’État, ne me marierait pas à la légère. Vous et moi,
reléguées au fond du gynécée, nous n’avons pas le droit d’ouvrir
la bouche. Les jeunes filles des plus humbles familles ont un sort
bien préférable ; car si des hommes illustres ou obscurs les
demandent en mariage, ils n’éprouvent aucun obstacle.
— Vous avez beau dire, reprit Ling-kiang-sioué, la p.466 plante
lân, qui répand ses parfums dans une vallée déserte, porte envie
au brillant (Pœonia) Mou-tân de la vallée d’or 453 , qui jouit de
l’estime de tous les hommes.
— Dans le monde, dit Chân-taï, une vaine renommée compromet
souvent les plus belles entreprises. Maintenant que mon faible
372